Remerciements

 

A tous ceux qui, par leur soutien financier ou autre, ont contribuŽ ˆ la rŽalisation de cette publication :

- le lycŽe Franoise Cabrini

- La maison des Žcrivains et de la littŽrature

- Le rectorat de CrŽteil

- Le Conseil rŽgional dĠIle de France dans le cadre

du Ç Projet lycŽe, innovation Žducative È.

 

 

İ LycŽe Cabrini, 2010

 


 

 

Atelier dĠŽcriture et de lecture dĠimage

(2009-2010)

 

 

LycŽe Franoise Cabrini

Noisy-le-Grand (93)

 

 

 

 

 

ƒcrits

De Cabrini

 

#1

 

 


 


 

 

 

 

 

 

 

 

PrŽface de Hafid Aggoune

 

En 2009, ˆ lĠoccasion de ma premire visite au lycŽe Cabrini, jĠai pu faire conna”tre mon parcours et mes livres, ma passion pour la littŽrature et lĠŽcriture, ˆ quelques Žlves. LĠidŽe est donc venue ˆ Jean-Luc MŽnard, professeur documentaliste et photographe, de prolonger cette premire approche, mais de lĠapprofondir par un atelier dĠŽcriture qui mlerait photographies et textes.

Janvier 2010 a vu le dŽbut dĠune nouvelle dŽcennie et aussi celui de cette aventure dĠŽcriture, de rencontres, dĠŽchanges.

Ainsi chaque vendredi, aprs avoir choisi lĠune des photographies toutes inspirŽes de lĠunivers mŽditerranŽen, des Žlves de Marie Witt, professeur de Lettres se sont lancŽs dans cette part dĠinconnu quĠest la crŽation littŽraire. Et pour ne pas les voir se confronter au blanc dĠun Žcran ou dĠune feuille, jĠai choisi de les laisser librement Žcrire leurs premires impressions face ˆ lĠimage, que lĠimage, divinitŽ omnisciente et omniprŽsente de notre sociŽtŽ, ne leur soit plus imposante, insinuante ou directive dĠŽmotions et de pensŽes, mais que leur regard, par les mots, viennent la dompter, sĠen nourrir sans en subir un sens unique. Chaque image rŽvle des sens multiples et rend une critique possible et mme souhaitable, exigeant un imaginaire en marche et non en arrt, car chaque image est une fentre ouverte et non un mur. Aussi, par cet atelier, ai-je voulu non pas leur ouvrir moi-mme ou par une quelconque mŽthode toute faite les fentres des souvenirs ou de lĠimagination, mais quĠeux-mmes se sentent capables, libres et autorisŽs ˆ le faire seuls, ˆ aller au-delˆ du visible, ˆ chercher au fond dĠeux-mmes une histoire, une nouvelle, une chose ˆ donner ˆ se lire ˆ soi et ˆ autrui.

Entre deux vendredis, nous sommes restŽs en contact pour suivre lĠŽvolution de chaque texte, partant des simples impressions pour aller doucement, sans rupture ni approche trop didactique vers le texte de chacun, lĠunivers que chacun aura su voir, dŽvelopper. Mon idŽe nĠŽtait pas de leur apprendre ˆ Žcrire, mais de donner envie dĠinventer, de crŽer, de suivre une pensŽe, de lĠexprimer, de la formuler de faon littŽraire, de raconter, dĠeffrayer, dĠŽmouvoir, dĠŽtonner, de rŽflŽchir, de se rŽvolter, de se libŽrer. Et cĠest chose faite, car les impressions sont devenues des histoires originales, fortes parfois, divertissantes et ludiques, fugaces comme de simples pomes, ou inquiŽtantes, Žmouvantes comme des Žchos de non-dits jusque-lˆ restŽs muets, ŽtouffŽs.

Lors de ces sept semaines dĠatelier et les suivantes hors-contexte, chacun aura donnŽ naissance au fruit dĠune page vierge, cette neige pure de lĠimaginaire venue se poser sur une photo aux saveurs, aux odeurs, aux lumires de la MŽditerranŽe, loin des clichŽs et prs dĠune sincŽritŽ qui sauvera le monde si elle peut toujours sĠexprimer et tre donnŽe ˆ lire comme il est fait ici.

Si Žcrire libre une parole personnelle, dire et inventer rend heureux et plus lŽger.

La littŽrature est une force qui peut tout soulever, murs et maux... Aux jeunes gŽnŽrations de reprendre le flambeau !










 

 


 

 

 

 

 

 

Horizons incertains

Anissa Chaouch

 

 

Ë prŽsent, les grandes vacances commencent. Toute la famille se prŽpare ˆ partir en voyage, prte ˆ dŽmarrer. Ma mre vŽrifie que rien nĠa ŽtŽ oubliŽ quand soudain elle mĠinterpelle.

─ NĠas-tu pas oubliŽ de le prendre ? Tu devrais aller le chercher, il se trouve dans ta chambre. Le temps presse.

Je me faufile et me rends aussit™t dans ma chambre. Je prends lĠobjet en question, puis remarque un bouquin sur le bureau que je prends Žgalement. Au moment o je lĠattrape, Žtrangement, une  photo glisse au sol. Elle est prise en hauteur, dĠune terrasse et montre une mer bleue, des nuages situŽs ˆ lĠhorizon. Ce paysage me rappelle mon pays dĠorigine : la Tunisie. Toute ma famille, paternelle et maternelle, se trouve lˆ-bas, de mme que mes racines. Il y a ce sentiment dĠappartenir ˆ deux mondes et ˆ aucun monde en mme temps : la France et la Tunisie.

Quand je suis en Tunisie, les gens me voient comme une Franaise, et je me considre franaise malgrŽ le fait que je respecte les traditions et que je crois en ma religion. Les Tunisiens traditionnels ne comprennent pas Ç la culture moderne et les idŽaux des Occidentaux È.

En revanche, quand je suis en France, les gens me voient comme une Tunisienne, et je me considre tunisienne ; les gens ne comprennent pas ma culture, ses aspects, ses coutumes, le fait quĠon soit libre de les exercer et non pas contraint. NŽanmoins,  la sŽvŽritŽ de lĠŽducation, le respect des rgles imposŽes, la foi en la religion, les traditions et tout le reste peuvent sembler archa•ques aux Occidentaux qui considrent cela comme Žtant anachronique.

Je vis dans un monde occidental entourŽe par des personnes ouvertes dĠesprit, parfois mme un peu trop ˆ mes yeux, moi qui viens dĠun pays du Maghreb.

Pour moi, vivant entre deux sociŽtŽs et deux mondes diffŽrents, constamment en train de mĠadapter, je me demande ce qui est normal et anormal. Quel est le modle ˆ suivre ? Quels sont les repres ˆ prendre ? Que suis-je ? Enfin ? Qui suis-je ? Tout en restant proche de mes racines, serait-il possible de perdre la foi parce que les personnes qui mĠentourent nĠen ont pas, ou parce quĠon nĠen parle pas autour de moi, ou quĠon semble incapable de la comprendre, ou encore parce quĠon est sans cesse sous lĠinfluence dĠune autre conviction autre que la sienne, comme la foi catholique par exemple ?

Cette difficultŽ dĠadaptation me portera t-elle prŽjudice plus tard ? Cette constante remise en question de soi est-elle un handicap ? De mme que cette peur de ne pas savoir ce qui nous arrivera demain, ou encore cette impression de devoir toujours faire ses preuves, ce qui en rŽalitŽ nous permet de combler la solitude qui se trouve au plus profond de nous-mme ? Dans ces deux univers familiers et Žtrangers ˆ la fois, jĠai parfois le sentiment dĠtre membre dĠune sociŽtŽ o je me sens tiraillŽe entre Ç en faire partie È et Ç en tre ŽcartŽe È.

Nageant dans mes pensŽes, je perds toute conscience du temps quand jĠentends les klaxons, alors je reprends mes esprits. Je prends ce dont jĠavais besoin et descends rejoindre ma famille.





 


 

 


 

 

 

 

 

 

Nothing

Marie-AimŽe Onhema

 

 

Ë ma famille et ˆ la Team, elles se reconna”tront.

 

Ç Mme lĠŽternitŽ me semblerait trop courte. Et Žternellement notre amour infaillible survivra. È The Spill Canvas.

Ç Et parfois, jĠoublie. Et dans ces moments-lˆ, jĠadmets que tu me manques. È Good Charlotte.

Ç Les rgles de ce jeu se modifient ˆ mesure quĠon y joue. È X.

 

 

LOGANE

J'Žcrase ma cigarette et retourne ˆ l'intŽrieur de l'aŽroport. Je m'assois et j'avoue que je commence sŽrieusement ˆ m'impatienter. Son avion aurait dž atterrir il y a dŽjˆ une demi-heure.

 

Ç Les passagers du vol 447 sont priŽs de se rendre ˆ la porte 7. È J'en ai marre. Je tourne la tte et j'aperois une affiche, non, une photo o il semble y avoir une maison engloutie. Peu importe. Je tourne une nouvelle fois la tte, en direction des arrivŽes cette fois-ci, et je le vois arriver au loin. Toujours aussi classe dans son costume noir Armani. Toujours aussi beau avec ses cheveux ŽbouriffŽs et sa moue boudeuse d'enfant puni. Julien... Je me lve et une sensation Žtrange m'envahit. Du stress ? De la joie ? Je sais que tout va bien se passer, qu'il va m'embrasser fougueusement et que ce soir je passerai une soirŽe inoubliable avec l'homme que j'aime. Je m'approche et esquisse un doux sourire.

─ Salut, toi !

Il pose ˆ peine un baiser sur mes lvres et me dit qu'il a appelŽ un taxi. Je fais comme si de rien nĠŽtait.

 

 

***

 

─ ‚a va ? T'as l'air distante ! dit-il en dŽbarrassant la table. Je souris.

─ Tout va bien.

─ Euh... demain je d”ne chez Marc, tu n'as pas oubliŽ ?

Un temps.

─ Bien sžr que non. Mais Žtant donnŽ que a fait deux semaines que l'on ne s'est pas vu, je pensais... je pensais que l'on pourrait passer un peu de temps... ensemble.

Il dŽposa un baiser sur mon front avant de rŽpondre :

─ ChŽrie, on a tout le temps pour a, non ?

─ Si.

Il s'apprte ˆ partir.

─ Non ! (il se retourne et me fixe.)

─ Quoi ?

─ Non ! Non, on nĠa pas Ç tout le temps È, fis-je en l'imitant, demain je peux mourir, demain tu peux mourir !

─ C'est quoi lĠhistoire, Logane ?

─ Pourquoi tu ne m'as pas dit Ç je t'aime È ? On ne s'est pas vu pendant deux semaines et tu ne m'as mme pas embrassŽe ! Je ne te comprends pas ! Tu... non, tu n'as personne d'autre, je... Julien...

Il reste un long moment ˆ me regarder et je me sens si stupide mais il est impossible de faire marche arrire.Il dit,enfin.

─ Je vais me coucher.

Et je reste lˆ, telle une imbŽcile, ˆ me demander si tout a a vraiment du sens. Si mon mariage rŽussira ˆ survivre au fait que j'ai trop travaillŽ pour fuir mes problmes, nos problmes. Je me demande si mon mariage rŽussira ˆ survivre au fait que j'ai trompŽ mon mari. Soudain, je revois cette photo, celle avec la maison engloutie. Elle me revient comme un flash et je me dis que cette atmosphre pesante, chaotique est tout ˆ fait ˆ l'image de ma vie. Mon mariage est en train de couler et il n'y a rien ˆ faire. Plus rien ˆ faire. Je regarde l'horloge de la cuisine : 1h02.

 

 BETHANY

J'Žteins mon rŽveil, d'un geste brusque. Et merde, aujourd'hui ce sont les vacances. Je sais, en temps normal, je devrais sauter de joie ˆ l'idŽe de pouvoir faire la grasse matinŽe et de sortir en soirŽe toute la nuit et m'exploser le nez ˆ la coke en toute tranquillitŽ. Mais, voyez-vous, ce genre de futilitŽ ne fait pas partie de mes passe-temps favoris. Je me lve et vais directement prendre une douche.

─ Bonjour.

─ Bonjour chŽrie. Bien dormi ? demande mon pre.

─ Ouep !

─ Prte pour fter ton dix-septime anniversaire ?

Vous comprenez pourquoi je dŽteste les vacances maintenant ! Depuis que j'ai dix ans, c'est-ˆ-dire depuis que ma mre est morte, mon pre se sent obligŽ de faire une soi-disant fte et on boira un champagne bon marchŽ puis avec une excitation digne d'un gosse de huit ans, il ira chercher un g‰teau (immonde) au chocolat bourrŽ de sucre. Et il soufflera les bougies prŽtextant un manque de rapiditŽ et de rŽactivitŽ de ma part. Ensuite, il m'offrira un bracelet et me dira que ma mre l'aurait sžrement adorŽ (comme a il est sžr que je ne le jetterai pas). Enfin, on terminera la soirŽe ˆ regarder Les Experts ou Jean-Pierre Foucault.

Je m'assois prs de lui et dans un soupir, je dis :

─ Oui. J'imagine.

Un silence.

─ Et, moi jĠimagine qu'il n'y aura pas Annah ˆ ton anniversaire. Sa mre m'a dit que vous vous Žtiez disputŽes... ˆ cause d'un garon.

─ Pas ˆ cause d'un garon, c'Žtait mon petit ami !

Elle va mal, ˆ ce qu'il para”t, elle a sombrŽ dans la dŽbauche la plus totale ! Tu ne peux pas la rejeter. Invite-la ˆ ta fte...

─ Ë TA fte, tu veux dire !! Pourquoi tu plaides sa cause, hein ? CĠest ta fille ?

─ Beth ! tu la connais depuis dix ans ! CĠest ta meilleure amie, arrte de vivre dans le passŽ.

─ C'est toi qui dis a ? Toi, tu vis dans le passŽ depuis la mort de maman. Tu crois que je ne sais pas que mon anniversaire n'est que le moyen de te rappeler maman ? Tu crois que je ne sais pas que tu me tiens pour responsable de sa mort : Ç Si elle n'avait pas ŽtŽ en retard pour aller chercher Beth ˆ lĠŽcole, elle n'aurait pas grillŽ ce putain de feu rouge et elle ne serait pas morte. È Je te lĠai entendu dire. Eh bien dŽsolŽe papa ! DŽsolŽe d'tre encore en vie, terminai-je avant de monter les escaliers ˆ toute vitesse et de m'enfermer dans ma chambre. Mon pre me rattrape aussit™t.

─ Bethany ! Je t'interdis de me parler sur ce ton. Je suis ton pre !!!

─ Un pre qui reproche ˆ sa fille de vivre ? Quel genre de pre es-tu papa ?

Un silence, pendant lequel chacun reprend ses esprits. Il parle.

─ Je ne t'ai jamais reprochŽ la mort de ta mre. Tu es la meilleure chose qui nous soit arrivŽe. TĠas parfaitement le droit de m'en vouloir si a peut t'aider, mais cesse de rejeter ta colre sur tout le monde. Quant ˆ Annah, parle-lui ou bien tu perdras encore quelqu'un que tu aimes. La vie est courte Bethany.

─ Trop courte pour perdre son temps avec des gens qui nĠen valent pas la peine, papa.

─ Trop courte pour vivre dans la haine et dans le remords, chŽrie.

─ Pourquoi est-ce que pardonner ˆ un inconnu est plus facile que de pardonner ˆ une personne que l'on aime ?

─ Quand j'aurai trouvŽ la rŽponse, je te le ferai savoir. Ce que je peux te dire c'est que pardonner ˆ une personne que tu aimes te libre d'un poids Žnorme et te permets dĠavancer. RŽflŽchis-y.

Il part. Je balance un coussin contre la porte. J'aurais dž rester au lit !

 

 JULIEN

 Vous avez dŽjˆ eu cette dr™le de sensation quand vous Žtiez enfant ? Vous jouiez le week-end, et le dimanche matin, quand vous pensiez au lendemain, quand vous vous disiez que vous alliez devoir aller ˆ lĠŽcole, a vous g‰chait tout le reste de lĠaprs-midi. JĠai exactement la mme sensation : je veux dire, jĠai passŽ deux magnifiques semaines ˆ New-York  et lˆ, je suis dans lĠavion et quand je pense ˆ ma femme, je nĠai quĠune envie : repartir dĠo je viens. Ne me regardez pas comme a. Je ne suis pas un salaud. Juste un cocu. Ma femme mĠa trompŽ il y a cinq mois. Avec Marc, mon frre. Et je pensais vraiment pouvoir lui pardonner, cĠest vrai, tout le monde fait des erreurs, mais cĠest au-dessus de mes forces. Je ne peux mĠempcher de voir sur son visage la trahison et elle mĠappara”t comme Žtant lĠallŽgorie de lĠhypocrisie. Je ne la juge pas. CĠest juste que lĠon aurait dž se laisser plus de tempsÉ

JĠarrive ˆ lĠaŽroport de Milano et je mĠarrte ˆ une cabine tŽlŽphonique afin dĠappeler un taxi. Puis, soudain, je lĠaperois, magnifique dans une robe en mousseline violette que je lui avais offerte. Ses longs cheveux blonds sont attachŽs en un chignon dŽbraillŽ et ses yeux bleus, transparents presque, scrutent le panneau des arrivŽes.

Ç Les passagers du vol 447 sont priŽs de se rendre ˆ la porte 7 È, retentit la voix Žlectronique. JĠhŽsite un long moment avant de me dŽcider ˆ aller retrouver Logane. Elle me voit et je ne peux plus faire marche arrire. Elle a ce sourire collŽ au lvres. Ce mme sourire duquel je suis tombŽ amoureux et qui aujourdĠhui me dŽgožte.

─ Salut, toi ! dit-elle dĠun air taquin. Je pose un baiser sec et rapide sur ses lvres et lui dis que jĠai appelŽ un taxi. Elle sĠen fout. Je crois.  

 

***

 

Je regarde lĠheure sur le rŽveil : 0h25. Je nĠarrive pas ˆ dormir. CĠest peut-tre dž au fait que ma femme mĠa  reprochŽ de ne plus mĠoccuper dĠelle, blablabla.  Elle nĠest toujours pas venue se coucher. JĠattends encore un peu avant de mĠendormir.

Je regarde de nouveau lĠheure sur le rŽveil : 1h02. Cette fois-ci, je sens que le sommeil me prend et que je ne lui rŽsisterai plus.

 

***

 

─ O as-tu passŽ la nuit ? demandai-je nerveusement. Elle boit dĠune traite son jus dĠorange.

─ QuĠest-ce que a peut te faire ?

Un temps. Elle reprend :

─ Je suis partie faire un tour puis jĠai dormi dans la chambre dĠamis.

─ Bien. Tu vois ce nĠŽtait pas si difficile que cela de me dire o tu Žtais.

Je me lve et balance ma petite cuillre dans lĠŽvier. ƒner-vŽ, mais bien sžr, je ne laisse rien transpara”tre.

─ ‚a fait combien de temps !?  sĠexclame t-elle. Je ne comprends pas.

─ ‚a fait combien de temps ? rŽpte t-elle.  ‚a fait combien de temps quĠon nĠa pas fait lĠamour ? Hein ? ‚a fait combien de temps que tu ne mĠas pas regardŽe ? TĠes-tu rendu compte quĠhier jĠavais mis la robe que tu mĠavais offerte.  As-tu essayŽ de tĠen rendre compte ?!!

─ Ë quoi tu joues, Logane ?

─ Merde, je  tĠaime Julien et É

─ Ah oui et bien tu as une dr™le de faon de me le montrer!

─ Joue pas ˆ a avec moi, sĠil te pla”t.

─ Toi, ne joue pas ˆ a avec moi. Je te trouve culottŽe, tu me trompes et JE dois faire des efforts. Je trouve quĠessayer de te pardonner est dŽjˆ bien suffisant !

─ Nous y sommes ! Tu laisses enfin sortir ta colre. ƒcoute É

─ Laisse tomber ! dis-je avant de partir.

Je monte prendre une douche et en me regardant dans le miroir, mon reflet me dŽgožte. Ë tel point que je lui crache dessus.

 

 ANNAH

Cinq mois plus t™t.

Je mĠappelle Annah et je suis amoureuse de SŽbastien.

─ Je tĠaime, Annah. Je ne devrais pas mais tu es ma femme ! dit-il en mĠembrassant. Je le regarde et me blottis dans ses bras. Je suis si bien en cet instant. Rien ne peut mĠatteindre, rien ne peut mĠeffrayer. Et mme la culpabilitŽ que je devrais ressentir ne me fait pas peur. Pas quand je suis avec lui. Je suis tout simplement tombŽe amoureuse du mec de ma meilleure amie.  Comment est-ce possible ? Il me fixe de ses yeux verts. TroublŽe,  je baisse la tte. Il me la relve :

─ QuĠest-ce quĠil y a ?

─ Rien. (Un temps).  CĠest possible dĠaimer en deux mois? CĠest si court.

─ Bien sžr que cĠest possible, jĠen suis la preuve vivante. Il sourit.

Je me liquŽfie.

─ Embrasse-moi ! ordonnai-je. Il sĠexŽcute.

Un moment. Pendant lequel je mĠallume une Marlboro light.

─ Des Marlboro ? TĠes nul, il faut fumer des Philip Morris, elles sont meilleures, rit-il.

─ Il ne faut pas fumer du tout, riais-je ˆ mon tour. Je recrache la fumŽe gris‰tre de ma clope.

─ Ç Dit-elle une cigarette ˆ la bouche ! È, dit-il avec ironie.

Nous rions. Il est tellement mignon, et son sourireÉ Mon Dieu quĠest-ce que je suis en train de faire ?

─ JĠai une question : quand est-ce que tu tĠes rendu compte que tu mĠaimais ?

─ CĠŽtait quand tu avais pleurŽ au tŽlŽphone parce que tu tĠŽtais disputŽe avec ton frre. Tu mĠavais atteint. JĠŽtais foutu. Et je nĠavais pas le courage dĠadmettre le fait que jĠŽtais tombŽ amoureux de toi. Le fait que malgrŽ ma sŽparation partielle avec Beth, jĠŽtais en train de la trahir, on est en train de la trahir. (Un silence). Et toi ?

─ Moi ? CĠŽtait le soir o on Žtait restŽ jusquĠˆ minuit au tŽlŽphone, tu mĠas dit : Ç Je serai toujours lˆ pour toi, je tiens dŽjˆ ˆ toi Annah. Je serai toujours lˆ. È

─ Ouais. JĠ te promets que jĠ serai toujours lˆ pour toi.

─ Pff, a ne sert ˆ rien les promesses ! mĠexclamai-je

─ Si, a sert quand on sait les tenir !

JĠŽcrase ma cigarette et regarde lĠheure sur mon portable : il est 21h30.

─ Bon, dis-je, il va falloir que je rentre.

─ Ouais ? Bon dĠaccord. Tu mĠenvoies un message,  ce soir ?

─ Bien sžr ! Bisous !

On sĠembrasse et je disparais dans la pŽnombre. JĠarrive sur la plage et le vent me fait du bien. JĠaperois une dame au loin et jĠai lĠimpression quĠelle se rapproche.

─ Bonsoir.

(Ce nĠŽtait pas une impression).

─ Bonsoir.

─ Excuse-moi, tu nĠaurais pas du feu, jĠai oubliŽ le mien, dit-elle en me montrant son paquet de Camel.

─ Bien sžr.

Je lui tends mon briquet, elle allume sa clope et fond en larmes :

─ Madame, a va ?

Quelle idiote, bien sžr que non elle ne va pas bien.

─ ƒcoutez, je sais que ce ne sont pas mesÉ

─ JĠai trompŽ mon mari et il ne veut plus de moi. Je lĠai trahi.

Une sensation Žtrange mĠenvahit et jĠai lĠŽtrange impression dĠtre ˆ peu prs dans son cas.

─ Oui mais les sentiments, a ne se contr™le pas !

─ Non, mais la raison est lˆ pour nous guider. Trahir quelquĠun est ce quĠil y a de pire. Surtout quand cette personne vous aime.

Elle me rend mon briquet et sĠen va. Je reste bouche bŽe. Et pour la premire fois depuis deux mois jĠaccepte enfin de voir la rŽalitŽ en face : je mĠappelle Annah, je suis amoureuse de SŽbastien et je suis une salope qui nĠhŽsite pas ˆ trahir sa meilleure amie. Ravie de vous conna”tre aussi ! Je mĠallume une cigarette dont je nĠavais pas vraiment envie et jĠen recrache  immŽdiatement la fumŽe. Cette femme mĠa bouleversŽe. Je vais dire la vŽritŽ ˆ Bethany.  Mon tŽlŽphone sonne : CĠest Beth. Je ne rŽponds pas et tire une autre taffe.

 Maintenant (six mois plus tard).

JĠallume la radio et cĠest NOFX qui se met ˆ hurler dans toute la chambre.

Je regarde lĠinconnu, allongŽ sur mon lit, nu, et je tire les draps.

─ HŽ !

─ Hum, dit-il en remuant. JĠhallucine !

─ HŽ !, dis-je plus fort. Il se rŽveille.

─ Merde, laisse-moi dormir !

─ Tu dŽgages de chez moi, sĠil te pla”t.

─ Pardon ?

Je lve les yeux au ciel et mĠallume une clope.

─ Ecoute, Jordan É

─ Jonathan

─ Ouais si tu veux ! Bref, hier on sĠest bien amusŽ, on a couchŽ ensemble et maintenant tu vas gentiment retourner dĠo tu viens, okay ?

─ Tu me jettes dehors ?

─ Quelle perspicacitŽ !

─ Tu ne peux pas faire a.

─ JĠvais mĠgner !

─ JĠŽtais juste un coup dĠun soir pour toi ?

─ Oh, arrte de me faire le numŽro du garon choquŽ qui pensait que nous allions vivre une relation magique et que nous aurions plein dĠgosses. Maintenant, dŽgage ! mĠexclamai-je

─ Okay, je mĠen vais !

Il ramasse ses affaires, enfile son jean en vitesse et avant dĠouvrir la porte, il reprend :

─ On dirait que le coup de foudre nĠŽtait pas rŽciproque.

─ Je ne crois pas au coup de foudre. Ni ˆ lĠamour, dĠailleurs.

─ Je ne sais pas ce qui sĠest passŽ dans ta vie mais on est bien trop jeune pour ne plus croire en rien. Tu crois quĠen dŽtruisant les autres tu iras mieux ? ‚a ne fera quĠempirer. JĠte connais pas mais personne ne mŽrite dĠtre seul.

Un temps.

 ─ Tu connais la sortie. Ferme la porte derrire toi.

Il part sans rien dire et je mĠaffale aussit™t sur mon lit. Je me sens saleÉ Et salie. Je prends le petit sachet sur ma table et en verse le contenu. Je trace cinq lignes de coke. JĠen sniffe une. Deux. Trois. LĠeuphorie commence ˆ monter. Quatre. Cinq. Je renifle et je me sens beaucoup mieux.  NOFX a arrtŽ dĠhurler dans toute ma chambre.

 

SEBASTIEN

Je dŽteste les faibles. Je dŽteste les filles qui, parce quĠon a couchŽ ensemble pensent que je leur passerai la bague au doigt. Je dŽteste les filles qui attendent quĠon vienne leur ouvrir la portire du taxi dans lequel elles sont ou qui attendent  quĠon leur tire leur chaise au restau pour quĠelles puissent y dŽposer leur gros derrire. Je dŽteste les blondes hyper siliconŽes ou botoxŽes ou liftŽes. Pff, jĠpeux vous dire que jĠen ai vu des nanas hyper siliconŽes,  botoxŽes, liftŽes, et franchement ce nĠŽtait pas terribleÉ

 ─ SŽb, tu mĠŽcoutes ?

─ Quoi ? Pardon je ne tĠai pas ŽcoutŽ.

─ CĠest bien cĠest a le problme, marmonne t-elle.

─ Quoi ?

─ Rien.

Je suis ailleurs. En fait, je pense ˆ Annah,  ˆ la manire dont on sĠest quittŽ il y a cinq mois :

 

─ Je ne regrette rien sauf le mal quĠon va lui faire, avait-elle dit.

─ Oui, moi aussi.

─ Merci dĠavoir rendu mes semaines plus belles, SŽbastien.

─ De rien, je te souhaite plein de bonnes choses et je veuxÉ

─ Que je sois heureuse ! Blablabla. Trou du cul !

─ CĠest toi le trou du cul, souriai-je, jĠte lĠai dŽjˆ dit. (Un moment). Tu vas me manquer Annah.

─ Toi aussi, mais cĠest mieux comme aÉ non ? a t-elle demandŽ comme si elle essayait de sĠauto-persuader.

─ Oui, cĠest mieux comme a, jĠavais dit avant de lui caresser la joue et de mĠŽloigner. Je me suis arrtŽ et jĠai voulu faire marche arrire puis jĠai finalement continuŽ mon chemin, la laissant derrire moi.

 

─ Elle te manque, affirme Bethany.

─ Non. CĠest juste queÉ (elle se redresse sur sa chaise), cĠest juste que je trouve a injuste que tu mĠaies pardonnŽ ˆ moi et pas ˆ elle. Je tĠaime et je sais que jĠai fait une erreur, quĠon a fait une erreur mais si tu me pardonnes, tu dois lui pardonner aussi. Elle va mal, la dernire fois mon ami mĠa racontŽ quĠil avait rencontrŽ une fille avec laquelle il avait couchŽ et quĠelle lĠavait foutu dehors. Le soir o il lĠa rencontrŽe, elle Žtait ivre morte. Elle se dŽtruit. Tu dois faire quelque chose.

─ Toi aussi tu tĠy mets ! Bon, je vais y rŽflŽchir.

Je la prends dans mes bras et je me dis que cĠest vraiment la femme de ma vie.

 

JULIEN

Demain, jĠai dŽcidŽ de tout changer ! JĠen ai marre. Il est 2h du matĠ et je suis dans un bar de paumŽs, compltement saoul. Je me dirige vers ma voiture mais un mec mĠinterpelle :

─ Euh, monsieur, je crois que ce nĠest pas une bonne idŽe de conduire dans lĠŽtat o vous tes.

─ JĠfais ce que É ze veux.

─ Laissez-moi vous ramener, de toute faon je dois passer prendre ma fille, Bethany.

─ MĠen fous... Oh ! Et si Johnny Cash Žtait encore en vie! La terre TRRRREEEMBLE ! NOUS SOMMES FOUTUS.

─ DĠaccord, venez avec moi je vous ramne.

─ NON.

─ Laissez-moi, au moins, vous appeler un taxi. Allez, soyez raisonnable. Venez.

LĠinconnu mĠappelle un taxi et attend que celui-ci arrive. Avant de monter dedans je dis :

─ Merci.

Il sourit en guise de rŽponse.

Le taxi me dŽpose devant chez moi. Je dŽcide de marcher un peu et traverse sur le trottoir dĠen face en titubant, jĠai ˆ peine le temps de voir la voiture arriver que je suis ŽjectŽ ˆ lĠautre bout de la rue É

Demain, je suis sžr que rien nĠaurait changŽ du tout.

 

 LOGANE

Ce matin, quand le tŽlŽphone a sonnŽ, ˆ 3h du matin, je ne mĠattendais pas ˆ ce quĠon me dise que lĠhomme de ma vie avait ŽtŽ renversŽ par une voiture.

─ JULIEN !!!!!, criai-je en courant dans tout lĠh™pital. JULIIIENNN !

─ Madame, veuillez vous calmer !

─ Mon mariÉ aÉ estÉ ici, suffoquai-je. JĠŽtais hystŽrique, jĠavais dŽbarquŽ en robe de chambre, mes cheveux Žtaient en pŽtard, et mes yeux rouges tellement je pleurais. Je ressemblais ˆ une junkie en manque.

─ Logane ! dit Marc

─ MARC !!, je mĠeffondre dans ses bras et pleure.

Il mĠentra”ne dans la salle dĠattente.

─ Les mŽdecins font tout leur possible mais son cas est dŽsespŽrŽ, il a dĠŽnormes lŽsions cŽrŽbrales et de nombreuses fractures.

  12h00

─ Tiens, dit Marc en me tendant un sandwich, il faut que tu manges.

─ Je nĠai pas faim.

─ Tu devrais peut-tre rentrer chez toi prendre une douche. Je tĠappellerai sĠil y a du nouveau.

─ Non ! Je veux tre lˆ sĠil se rŽveille.

Je dŽtourne le regard et jĠaperois une jeune fille qui me regarde bizarrement, comme si on sĠŽtait dŽjˆ vu avant. Je dŽtourne encore une fois le regard et vois cette photo. Encore.

Celle avec la maison engloutie. Je mĠendors sur lĠŽpaule de Marc.

 

00h36

Le mŽdecin entre dans la salle dĠattente et nous nous redressons aussit™t.

─ Bonsoir, dit-il dĠune voix grave. ( Mon cÏur va exploser.) Monsieur Donacci sĠest rŽveillŽ, poursuit-il.

JĠexplose de joie.

─ Il est encore trs faible. Il voudrait voir É sa femme.

Je lve la tte, surprise et me tourne vers Marc qui me lance un regard rassurant.

Je me dirige vers la chambre 035. JĠentre.

 

─ Bonsoir, vous.

─ Bonsoir, vous, rŽpond t-il dĠune voix rauque et lente.

Je mĠassois sur le rebord du lit et me mets ˆ pleurer.

─ HŽ, ne pleure pas, Logane.

─ Julien, jĠai eu tellement peur que tu ne te rŽveilles pas ! Je É Marc et Judith sont lˆ.

─ Judith est lˆ ?

─ Oui.

─ Bien. ƒcoute, je veux que tu saches que notre mariage est la meilleure chose qui me soit arrivŽ etÉ

─ Ne fais pas a ! Ne me parle pas comme si tu allais mourir.

Un silence.

─ Tu portais la robe en mousseline violette que je tĠavais offerte le jour de ton anniversaire. Et, tu avais coiffŽ tes cheveux en unÉ en un  chignon dŽbraillŽ comme si tu venais de sortir du lit, alors que tu mets une heure ˆ le faire (a me fait sourire). Et tu avais mis aussi les escarpins noirs de chez Chanel que lĠon avait achetŽs ensemble ˆ Paris.

Un silence, plus long.

─ JulienÉ Je ne comprends pas. De quoi parles-tu ?

─ Du jour o tu es venu me chercher ˆ lĠaŽroport. Je nĠai pas ŽtŽ sympa ce jour-lˆ, ni les autres jours dĠailleurs, et je voulais que tu saches que mme si parfois je te donne lĠimpression dĠtre indiffŽrent et distant et de ne pas faire attention ˆ toi, cĠest faux. En fait, je veux juste te dire que ds que je serai sur pied, toi et moi É on prendra un nouveau dŽpart. Je tĠaime et je ne veux pas te perdre.

Je pleure.

─ Pourquoi tu pleures ?

─ Ce sont des larmes de joie, Julien ! Je tĠaime.

On sĠembrasse. Fougueusement. Puis soudain, il ne rŽagit plus et la machine fait ce dr™le de bruit que lĠon entend dans les films.

─ DOCTEUR !!

Les mŽdecins arrivent, sĠagitent et moi je suis plantŽe lˆ, impuissante.

─ Chariot de rŽa ! Passez-lui 2 milligrammes de CC. Madame, on va vous demander de sortir sĠil vous pla”t.

 

05h43.

Le mŽdecin entre dans la salle dĠattente. Nous nous levons.

─ Nous avons fait tout notre possible, seulement les lŽsions Žtaient trop importantes et É

─ NON, NON, NOOOONNNN, hurlai-je.

─ Je suis dŽsolŽ.

Marc me prend dans ses bras.

 

07h19.

Le soleil avait dŽjˆ fait semblant de se lever quand Marc mĠa dŽposŽe chez moi.

Je reste un long moment ˆ parcourir le salon dĠun regard embuŽ par des larmes qui ne demandent quĠˆ jaillir.

 Je mĠapproche de la table ˆ manger et vois le cafŽ ˆ moitiŽ vide quĠil a laissŽ. Puis, je monte dans notre chambre et son odeur plane dans toute la pice, ses jeans et chemises Calvin Klein jonchent le sol. Et il y a cette photo de notre mariage sur la table de chevet, on Žtait si heureux. Je la jette contre le mur et le fracassement du verre fait un bruit apocalyptique.

JĠŽclate en sanglot.

ANNAH

 ‚a fait deux jours que jĠai des vomissements. Je me sens mal. Trs  mal.

 JĠarrive ˆ lĠh™pital.

─ Bonjour, dis-je

─ Bonjour, que puis-je faire pour toi ?

Je me suis toujours demandŽ pourquoi les adultes avaient le droit, dĠemblŽe, de nous tutoyer et pas nous !

─ Hum, je voudrais un test de grossesse É

─ Mais cĠest ˆ la pharmacie queÉ (je fais mon regard de chien battu). Bon, je vais voir ce que jĠpeux faire.

JĠaperois une femme qui me dit vaguement quelque chose. Elle a lĠair dŽboussolŽe et je ressens de la peine pour elle. Je ne la quitte pas du regard. Elle me dit vraiment quelque chose. Un temps. ‚a y est ! Je me souviens, cĠest celle qui mĠavait demandŽ mon briquet, un soir sur la plage. ‚a remonte ˆ longtemps. Elle se rend compte que je la fixe et me prend, officiellement, pour une tarŽe.

─ Jeune fille, votre test, dit la femme essoufflŽe.

─ Merci É euh combien je vous dois ?

Elle sourit et me rŽpond que je ne lui dois rien. Tant mieux, je nĠavais rien, de toute faon.

Je ne peux pas attendre dĠtre chez moi, je fonce aux toilettes et fais le test.

Il ne reste plus quĠˆ attendre. JĠattendsÉ JĠattends.

 

BETHANY

 Le pardon. Dr™le de concept. Un concept si difficile ˆ rŽaliser. Le pardon, cette chose qui nous fait avancer. Cette chose qui nous fait dŽcouvrir ˆ quel point on peut avoir un grand cÏur ou au contraire ˆ quel point on peut tre rancunier et sĠenfermer dans notre passŽ. Parce que ce nĠest que face ˆ lĠadversitŽ que lĠon dŽcouvre qui on est vraiment. Ou qui lĠon peut devenir.

Je sonne ˆ la porte. Elle ouvre.

─ Beth ? Je ne mĠattendais pas ˆ te voir. Entre.

Je mĠexŽcute.

─ Je voulais te parler.

─ Ecoute, je sais que jĠai fait une erreur mais tout le monde fait des erreurs, il faut juste vivre avec et je nĠai vraiment pas envie de g‰cher notre amitiŽ pour un mec.

─ Est-ce que tu lĠaimes ?

Elle ne rŽpond rien et baisse la tte. Je prŽfre mĠen aller.

─ Non, attends Beth, reste ! Je ferais tout pour arranger les choses.

─ YĠa rien ˆ arranger, tu lĠaimes et je comprends. Je sais trop bien ce que cĠest que de tomber amoureuse de SŽbastien.

─ Alors cĠest la fin dĠune amitiŽ vieille de dix ans, une amitiŽ qui a survŽcu ˆ une mre morte, de nombreuses disputes, ˆ lĠexclusion de lĠune dĠentre nous. JĠmĠen veux tellement. Pardonne-moi.

Le pardon. Ce concept si difficile ˆ rŽaliser.

─ Bethany, on a surmontŽ tant de choses ensemble. Et ce serait merveilleux quĠon puisse surmonter aussi un avortement.

─ Quoi ? fis-je ŽtonnŽe.

Un temps.

─ Je suis enceinte.

Un long silence.

─ Tu en as parlŽ au pre ?

─ Lequel ?

Je ne dis rien. Je la prends dans mes bras et nous pleurons.

Notre amitiŽ surmontera la trahison. Elle surmontera mme lĠavortement. Elle mĠa tellement manquŽe.

Le pardon. Ce concept si difficile ˆ rŽaliser. Mais lorsque lĠon a enfin rŽussi ˆ passer le cap, on se dit, je me dis : Ç Mince, que cĠest bon de pardonner. È

 

ANNAH

 Merde, je vais tre en retard ! En mme temps, ils ont lĠhabitude. JĠenfile un string, un jean moulant, des santiags marron, un marcel blanc et ma veste en cuir marron ; je lisse mes longs cheveux bruns ainsi que ma frange. Un peu de mascara, un brillant ˆ lvres transparent, une sacoche noire Zadig et Voltaire qui mĠa cožtŽ la peau des fesses. Voilˆ. Je suis prte.

Je mĠallume une clope en attendant le bus. Je me suis fait avorter, il y a deux semaines. ‚a fait dr™le. Je ne sais pas pourquoi jĠy pense encore. Je ne sais pas.

 Lorsque jĠarrive au Puerto Alegre, avec trente minutes de retard, Beth, Nelly et Jose et Julian sont dŽjˆ installŽs.

─ Hey ! Je suis dŽsolŽe pour le retard.

─ On a lĠhabitude, dit Nelly.

─ ‚a cĠest clair, renchŽrit Jose ˆ qui on nĠavait rien demandŽ !

Je mĠinstalle et nous jetons un Ïil sur le menu.

 

1h32 plus tard.

─ Bon, je dois mĠen aller, jĠai des trucs ˆ faire !, annonai-je.

─ Et comment tu payes ? rit Beth.

─ Tu mĠinvites, souriai-je avant de dŽposer un billet de vingt euros.

 

Je sors du restau et mĠallume une clope. En rŽalitŽ je nĠavais rien de prŽvu, jĠavais juste envie de mĠŽvader. Je marche dĠun pas rapide et je ne sais mme pas o je vais. Soudain, jĠaperois un jeune assis, seul, sur un banc. Je mĠapproche. ‚a faisait plus de cinq mois que je ne lĠavais pas vu.

─ QuĠest-ce que tu fais lˆ, tout seul ?

Il me dŽvisage. ‚a me trouble.

─ Annah ?

─ Bonjour, SŽbastien. Je peux ? Il fait un signe affirmatif de la tte et je mĠassois ˆ ses c™tŽs.

─ ‚a me fait bizarre de te revoir, me dit-il.

─ Ouais. (Un temps). Je me suis fait avortŽe, il y a deux semaines et je fais comme si a ne mĠatteignait pas, mais la vŽritŽ est que cĠest en train de me tuer, pleurai-je.

─ Annah, je suis dŽsolŽ. JeÉ

─ Non, excuse-moi, je ne sais pas pourquoi je tĠai dit a. Laisse tomber. Salut.

Je me lve et mĠapprte ˆ partir.

─ Annah, je ne tĠai pas oubliŽe, tu sais, et je serai toujours lˆ pour toi.

─ Les promesses, a ne sert ˆ rien.

─ Si, a sert quand on sait les tenir.

JĠai une impression de dŽjˆ vu et aprs un moment, je finis par dire :

─ Ouais ? Alors o Žtais-tu ces cinq derniers mois ? O seras-tu demain ?

Un silence.

─ Prends soin de toi, SŽbastien.

Je pars lentement, sans me retourner. Et il y a quelque chose de dŽfinitif dans ma dŽmarche.

 

LOGANE

 Mon mari a ŽtŽ enterrŽ, ce matin. Tout va bien. Je vais bien. Je me promne sur la plage immensŽment vide, un dimanche matin. Je mĠassois sur le sable fin, bržlant presque. Le vent vient caresser mon visage serein et apaisŽ.

Je mĠallume une clope. Je ne pense pas que Julien aurait voulu que je me morfonde. Je pense que a va tre dur, trs dur sans lui mais que la tristesse finira par sĠen aller. Ce manque que lĠon ressent sĠen va, avec le temps, je crois. Avez-vous dŽjˆ eu des regrets ? Cette sensation quĠon a quand on trahit une personne qui vous aime. Et lorsque cette personne vous pardonne, cĠest tellement inespŽrŽ que lĠon nĠy croit mme pas. JĠai fait pas mal dĠerreurs dans ma vie mais je pense que ce qui nous fait tenir cĠest lĠespoir de rencontrer une personne avec qui on pourra affronter le monde, partager le mal-tre et le manque que lĠon a tous au fond de nous. Vivre nĠest pas simple. Vraiment pas. JĠavais enfin cette personne avec laquelle je pouvais combattre lĠŽphŽmre de la vie et la facticitŽ des personnes qui nous entourent. Cette personne nĠest plus lˆ. Eh, quoi ? Je nĠabandonnerai pas, je me battrai jusquĠau bout. Je lui dois bien a. Ë tous ceux qui pensent quĠils ne sĠen sortiront jamais, ˆ tous ceux qui ont mal, aux Ç pardonneurs È et aux Ç pardonnŽs È, ˆ vous chers lecteurs gardez espoir, ne vous laissez pas abattre. La souffrance est juste lˆ pour nous rappeler que nous sommes vivants et que quelque chose de meilleur nous attend. Ne jamais sĠavouer vaincu. Je ne mĠavoue pas vaincue. Une larme a coulŽ sur mon visage. Je regarde lĠhorizon et une sensation Žtrange mĠenvahit.

JĠŽcrase ma cigarette.






 

 


 









 

 

 

 

Les tapas

LŽonie Guilbert

 

 

Le soleil Žtait chaud et lĠombre rare. LĠair Žtait lourd et pesant, comme ˆ la veille dĠun orage. De grosses gouttes de sueur ruisselaient dans le dos dĠAlec. Il avait le regard perdu dans le vague, fixŽ sur les enfants qui glissaient sur le grand toboggan jaune du parc, en poussant de petits piaffements d'excitation. Une fois en bas, ils se prŽcipitaient sur lĠŽchelle pour recommencer la descente, pŽril enfantin. Ils allaient et venaient tte nue, sans que leurs parents se soucient de les protŽger. Alec songeait ˆ se lever, ˆ dire ˆ ces couples quĠils Žtaient de mauvais exemples de prŽvention. Il ne le faisait pas. Il nĠŽtait pas assez sot pour ne pas prŽvoir les rŽactions auxquelles il devrait faire face. Les gens, dĠune manire gŽnŽrale, ne comprennent jamais les remarques quĠon leur fait.

 ─ Tu mĠŽcoutes ?

 Non, il nĠŽcoutait pas. Elle lĠennuyait. Elle parlait depuis quinze minutes, sĠŽpuisant en un vain monologue. Elle lui faisait encore remarquer, et ce pour la quatrime fois, son immaturitŽ. Un Ç Je te quitte, cĠest fini È aurait suffi. Ë quoi bon un long discours ? Pourquoi expliquer les raisons du dŽpart ? On partira quand mme et lĠautre se retrouvera seul dans tous les cas. Les femmes parlent trop. Les gens, dĠune manire gŽnŽrale, parlent trop.

 Angle Žtait jolie. On ne pouvait pas aller jusquĠˆ dire quĠelle Žtait belle mais elle avait un charme bien ˆ elle. Elle nĠŽtait pas grande, mais pas petite non plus. Elle nĠŽtait pas grosse, mais pas vraiment mince. Sa taille semblait fine, mais sa jupe dissimulait habilement de fortes hanches. DĠAngle Žmanait toujours une lŽgre odeur de transpiration, particulirement aprs lĠamour. Une aurŽole brune encadrait son visage maigre, aux joues rebondies. Ses petits yeux anxieux, dĠune couleur indistincte, Žtaient enfoncŽs dans leur orbite. Sa bouche, ni fine ni pulpeuse, avait un gožt de cerise industrielle. Les ongles des doigts potelŽs de ses petites mains grises Žtaient toujours parfaitement vernis dĠun rouge coquelicot (corail rŽpŽtait-elle sans cesse).

 Elle tourna le dos ˆ Alec et partit en faisant remuer les graviers, trs droite sur ses hauts talons. Elle avait rŽellement un air de petite poupŽe trop poudrŽe.

 Neuf mois. Leur relation avait durŽ neuf mois. Ils sĠŽtaient rencontrŽs au mariage dĠun ami commun. CĠest une bonne occasion pour les rencontres. Elle riait beaucoup, dĠun rire forcŽ. Les hommes sĠintŽressaient ˆ elle. Cela lui plaisait. Il restait tranquille dans son coin, ˆ c™tŽ du buffet. Elle avait remarquŽ quĠil ne la regardait pas. Elle Žtait venue lĠentra”ner ˆ danser, il avait refusŽ, lui avait proposŽ un verre. Ils avaient terminŽ la soirŽe dans une chambre dĠauberge.

Puis ils Žtaient repartis chacun de leur c™tŽ ; ils vivaient loin lĠun de lĠautre. Deux semaines plus tard, il lĠavait rappelŽe, il Žtait venu la voir en train, ils avaient pris un cafŽ et leur relation avait redŽmarrŽ. Alors, tous les vendredis soir, il prenait le train de 19h54 et arrivait chez elle ˆ 20h47. Elle lui prŽparait un mauvais repas, ils mangeaient en vitesse, se rendaient dans sa chambre et faisaient lĠamour. Une fois lĠacte achevŽ, elle sĠendormait rapidement, dos ˆ lui. Lui, regardait le plafond dont la peinture sĠŽcaillait et, comme il ne trouvait pas le sommeil dans ce lit poussiŽreux, il allait regarder la tŽlŽvision dans le salon, visionnait une ou deux Žmissions inintŽressantes avant de sombrer dans le sommeil. Le matin, il se rŽveillait au son des klaxons, nu, sur le canapŽ. Angle Žtait partie travailler. Elle Žtait esthŽticienne. Alec sĠhabillait avec les vtements de la veille, fermait la porte et glissait la clŽ sous le paillasson. CĠŽtait devenu une habitude, un geste rŽgulier.  Le jeune homme, dĠune trentaine dĠannŽes, dŽjeunait ˆ la gare dĠun croissant et dĠun jus dĠorange avant de prendre le train de 9h42.

Comment avait-il tenu autant de temps avec cette fille, totalement opposŽe ˆ sa nature ? Il nĠavait jamais rŽellement connu de filles. De femmes. Elle Žtait celle qui Žtait restŽe le plus longtemps. Il admirait rŽellement le sexe fŽminin mais ne tŽmoignait pas assez son amour. On ne le lui avait jamais appris. Sa mre Žtait morte, six mois aprs sa naissance, renversŽe par un touriste. Son pre ne sĠen Žtait jamais rŽellement remis. DŽpressif, il parlait peu, murŽ dans sa dŽtresse. Quand il eut dix-huit ans, Alec partit. L‰che. Ce mot lui Žtait restŽ longtemps dans la tte. Comment peut-on abandonner son pre, quand on sait que lĠon est son seul soutien ? Mais il nĠavait pas voulu le soutenir toute sa vie, prisonnier dĠun malheur quĠil nĠavait pas choisi. Il avait dĠabord ŽtŽ vendeur ambulant de pastques, avant dĠobtenir un emploi chez McDo. AujourdĠhui, il fabriquait des moteurs ˆ la cha”ne mais son contrat devait se terminer dans les prochaines semaines.

 Aprs avoir fumŽ ses trois dernires cigarettes, Alec quitta le parc. Il vagabonda de rue en rue. Les passants Žtaient rares ; la ville paraissait fantomatique, comme coupŽe du monde et de la sociŽtŽ. Sa puanteur et sa chaleur exilaient les visiteurs et clo”traient les autochtones derrire leurs volets fermŽs. Les rues semblaient grasses et molles, telle une glace fondant sous le soleil ; on y marchait lentement, accablŽ, comme si nos pieds sĠengluaient dans le sol, plus profondŽment ˆ chaque pas. Avec la nuit, la bourgade, grise le jour, s'illumina de lampadaires grŽsillant et de quelques nŽons mal rŽglŽs. Les habitants osaient alors quitter leur havre de fra”cheur que constituaient les habitations pour animer les quartiers. La musique enflait progressivement dans tous les bars populaires o sĠattroupaient hommes et femmes dans un brouhaha assourdissant.

 Alec fuit la foule et rejoignit la plage de galets et dĠŽclats de verre. Loin des lumires de la ville, le jeune ouvrier dut attendre quelques instants que ses yeux sĠadaptent ˆ lĠobscuritŽ. La mer ressemblait ˆ une flaque dĠhuile noire qui avalait et recrachait la plage au rythme des vagues. Des baraques modestes empiŽtaient sur cet espace dŽpeuplŽ. La berge Žtait mince et Žtroite : quelques mtres, ˆ peine.

Alec dŽambula prs dĠune heure, sĠŽloignant vers lĠouest dĠune dŽmarche saugrenue. Les galets sĠentrechoquaient sous lui en claquements singuliers. LĠair Žtait salŽ et lui collait ˆ la peau mais la tempŽrature Žtait descendue et devenue largement supportable. Il se sentait bien.

 Soudain, dans un tournant, sans prŽvenir, une vive lumire lĠŽblouit fortement, comme si le rayon lumineux Žtait entrŽ si profondŽment dans sa pupille dilatŽe quĠil avait eu assez de puissance pour transpercer sa rŽtine. Alec, par rŽflexe, porta sa main au visage dĠun geste brusque pour se protŽger. Ayant quittŽ la dernire source lumineuse plus dĠune heure auparavant, il lui fallu quelques secondes pour apprŽhender celle-ci. Ce qui semblait lui avoir traversŽ le cr‰ne nĠŽtait en rŽalitŽ quĠune simple guirlande de lampions bleus, orange et verts. Elle illuminait une terrasse o tr™naient trois ou quatre tables de jardin et Žtait censŽe permettre de lire un nom de brasserie illisible.

Il continua sa route dĠun pas rŽsolu, longea le bar o jouaient quatre hommes et puis, comme la faim le tiraillait, il stoppa sa marche, se retourna. La tte dĠabord, le buste ensuite et enfin le corps en entier. Il revint, avanant dĠune dŽmarche hŽsitante et irrŽgulire, la tte calŽe entre les Žpaules. Il Žtait tard et le cafŽ (contrairement aux bars du centre ville) ne semblait pas tre de ceux qui restent ouverts jusquĠˆ lĠaube, mais peut-tre accepterait-on de lui donner quelque chose. Les joueurs de cartes indiquaient bien que lĠŽtablissement nĠŽtait pas fermŽ. Ayant franchi lĠentrŽe de la terrasse, il salua les hommes dĠun hochement de tte maladroit et fona vers lĠintŽrieur sans attendre de rŽponse, trop craintif pour affronter leurs regards.

 La salle Žtait coquette. LĠambiance Žtait chaleureuse, accueillante, intime. Les meubles Žtaient en bois sombre, bois quĠun luminaire vieillot irisait de reflets miel. Un ventilateur, pendu au plafond, ronronnait dĠun murmure irrŽgulier. Des rideaux ocre, bon marchŽ, cachaient les fentres. Ë c™tŽ de lĠune dĠelle Žtait attablŽe une femme entre deux ‰ges, les cheveux grisonnants. Elle sirotait tranquillement une limonade. En face dĠelle, tr™nait un vase garni de fausses fleurs.

Alec alla sĠappuyer au comptoir qui Žtait calŽ dans un angle de la pice, non loin dĠun raide escalier. Ë c™tŽ des pompes ˆ bire, un petit chevalet prŽsentait un petit paquet de petites cartes de visites. Alec en prit une quĠil fourra machinalement dans sa poche aprs avoir lu le nom du bar. Il se trouvait Ç Chez Denis et Gloria È. Il piocha un cure-dents dans le pot en carton vert qui se trouvait ˆ c™tŽ de lui et le m‰chouilla mŽcaniquement, comme lĠaurait fait un gamin de huit ans.

 Au bout de quelques minutes, un homme sortit dĠun couloir en sĠessuyant les mains lĠune contre lĠautre. Imposant, il respirait la bonhommie, ce qui le faisait ressembler ˆ un Žnorme ours en peluche. En voyant Alec, il appela Ç Gloria È dĠune voix grave. Il sourit dĠune large bouche au jeune homme avant de retourner ˆ sa place, en face de la femme ˆ la limonade.

Une vieille femme, fripŽe comme une olive noire, courte sur pattes, apparut en haut de lĠescalier quĠelle descendit en quelques secondes.

 ─ QuĠest-ce que je vous sers ?

Ses yeux pŽtillaient de bontŽ et ses lvres menues sĠŽtiraient dĠun bout ˆ lĠautre de son visage en un sourire candide. Elle avait un air enfantin malgrŽ les rides. Une mche dĠun blond passŽ, ŽchappŽe de son chignon, lui courait sur le front. Elle portait une robe ˆ imprimŽ fleuri, en partie cachŽe sous un tablier blanc, nouŽ dans le dos.

 ─ EuhÉ des tapas sĠil vous pla”t.

Elle sĠempressa dĠaller les prŽparer. Pendant ce temps, Alec regarda le couple au fond de la pice. LĠhomme avait pris la frle main de la femme dans sa grosse patte poilue. La vieille femme revint peu aprs avec une large assiette de tartines dĠa•oli et de charcuterie. Elle repartit chercher une soucoupe dĠolives vertes et une carafe dĠeau. Le d”ner Žtait simple mais merveilleux. Il se sentait bien. IntimidŽ, comme toujours, mais les gens qui lĠentouraient semblaient heureux et lui souriaient.

Un des joueurs de cartes, un dŽnommŽ Leandro vint discuter avec la ma”tresse des lieux. Il semblait avoir le mme ‰ge quĠelle. Il avait le cr‰ne dŽgarni et une Žpaisse moustache lui cachait la lvre supŽrieure.

Comme Alec ne savait o dormir, la vieille Gloria lui prŽpara une des deux chambres dĠh™te de lĠŽtage. Il monta se coucher tandis que les clients quittaient le cafŽ. La pice Žtait exigu‘, sous les toits, mais le matelas Žtait moelleux. Il sĠy enfonait si largement que celui-ci semblait lĠenvelopper compltement, comme un cocon. Ou plut™t, comme le ventre dĠune mre.

Le matin, Alec fut rŽveillŽ par les rayons du soleil qui filtraient ˆ travers le rideau. Il sĠhabilla lentement et descendit lĠescalier avec mollesse. La patronne Žtait dŽjˆ derrire son bar. Une table avait ŽtŽ prŽparŽe. On y trouvait sablŽs, lait, oranges et fruits secs, cŽrŽales, pain et confiture. Ç CĠest pour vous È, lui indiqua Gloria de sa voix na•ve. Alec alla sĠinstaller et dŽjeuna. Il y prit du plaisir. Cela lui changeait des fades croissants de la gare. Pendant ce temps, il observait Gloria. Elle Žtait travailleuse : constamment en mouvement, nettoyant le sol ou arrangeant la dŽcoration de table.

 Ils Žchangrent quelques mots. Elle Žtait veuve : son mari, Denis, Žtait dŽcŽdŽ huit ans auparavant. Cancer de la prostate. Elle avait dŽcidŽ de continuer ˆ faire vivre le cafŽ quĠils avaient ouvert ensemble en 1954, peu aprs leur mariage, mais cela devenait de plus en plus difficile. Elle avait toujours la motivation mais la force physique lui manquait. Elle nĠavait Ç plus dĠhomme ˆ ses c™tŽs pour rŽparer les petites chosesÉ(Et ce ventilateur qui fonctionnait mal !) È. Alors, les clients avaient peu ˆ peu disparu. Des buvettes plus Ç jeunes È sĠŽtaient dŽveloppŽes en centre ville. Il nĠŽtait restŽ quĠune poignŽe dĠhabituŽs. Il y avait Hector et les joueurs de cartes. Ils Žtaient cinq ˆ parier au dŽpart mais lĠun dĠeux Žtait mort lĠan passŽ. Un jour, Hector avait ramenŽ une femme. Il lĠavait ŽpousŽe. Cela changeait Gloria de lĠunivers masculin du bar.

Tout le long de son rŽcit, elle souriait, faisait des mimiques en se remŽmorant des anecdotes. Elle ressemblait ˆ une mamie-g‰teau.

Alec ne parla pas de lui.

 Leandro, premier client de la journŽe, arriva ˆ 9h. Il fit un baisemain ˆ Gloria de sa moustache qui chatouille. Alec lui en voulut lŽgrement de venir troubler leur discussion mais Leandro, vieil homme aux allures de clown, le ramena ˆ la gare en auto.

 De retour chez lui, Alec reprit ses habitudes dĠouvrier mal payŽ. Tous les jours il montait des moteurs. Tous les soirs, il regardait des Žmissions o les candidats gagnent des millions en quelques minutes et o les prŽsentatrices ont de beaux dŽcolletŽs. Le week-end, il sĠinstallait sur son balcon et fumait des paquets entiers de cigarettes. Un samedi, en nettoyant son linge, il retrouva la petite carte de Ç Chez Denis et Gloria È.

 Deux semaines plus tard, il y revint. Il sĠy rendit ainsi rŽgulirement, par le train de 19h54 du vendredi soir. Il commenait ˆ tre acceptŽ dans le petit cercle des fidles du cafŽ, principalement depuis quĠil avait rŽparŽ le ventilateur. Gloria, en voulant le rŽparer seule, Žtait tombŽe de lĠescabeau et sĠŽtait cassŽ le poignet. Il sĠŽtait alors proposŽ pour sĠen charger. De plus en plus souvent, Gloria lui rŽduisait ses factures en Žchange de menus bricolages (bloquer une table bancale, rŽparer le verrou des toilettesÉ).

Alec aimait ŽnormŽment la vieille dame. Elle sentait la lavande et le thym. Ses tenues Žtaient toujours assorties ˆ son humeur gaie. Elle Žtait la premire femme quĠil aimait. Une mre. Sa mre. CĠest ce que disait son cÏur, mais lui ne disait rien. Paralllement, Alec avait toujours du mal ˆ apprŽcier Leandro quand Gloria Žtait prŽsente. Quand ils Žtaient entre hommes, il le trouvait sympathique, mais ds que Gloria apparaissait, il Žtait forcŽ dĠadmettre que celui-ci Žtait proche de la dame fleurie. Plus proche que lui. Et pour cela, il lui en voulait.  Alec prenait alors sur lui et arrivait ˆ profiter du bonheur quĠil Žprouvait en compagnie de tous ces personnages, tous attachants.

 Un mois plus tard, le contrat du jeune homme arrivait ˆ son terme. Gloria acceptait de lĠengager comme homme ˆ tout faire de la maison. Il logerait sur place. Il nĠŽtait pas allŽ Ç Chez Denis et Gloria È un week-end pour pouvoir prŽparer ses affaires au calme (il nĠavait quĠun grand sac de sport jaune comme bagage), rŽgler les dŽtails avec le propriŽtaire et signer les papiers ˆ la prŽfecture.

 Le jour fatidique approchait. Il trŽpignait dĠimpatience. Ë lĠidŽe de faire un mŽtier qui lui plaisait auprs de personnes quĠil adorait, Alec Žprouvait une vŽritable exaltation intŽrieure. Il Žtait heureux pour la premire fois de sa vie. Il pouvait enfin gožter la libertŽ – vivre et ne pas supporter.

 Le vendredi, ˆ 20h47, il dŽbarqua en h‰te du train et se prŽcipita dans lĠomnibus qui le menait ˆ la brasserie. Le temps du trajet, il regarda dŽfiler le paysage. Les rues sĠenfilaient, toutes semblables. Une sorte de quiŽtude lĠentoura de ses bras, le berant comme un enfant.

Il arriva au cafŽ dŽtendu, gai. Il trouva Hector assis sur le muret de la terrasse, recroquevillŽ sur lui mme. La tendre bte Žtait devenue un enfant chŽtif. Devant lĠair interloquŽ dĠAlec, il murmura, dĠune voix qui se voulait compatissante:

 ─ Tu ne sais pas ? Elle est morteÉ

 


 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

Enora

Jennifer Chantrel

 

 

Un rythme rŽgulier accompagnait la course effrŽnŽe, une sorte de tambourinement mental que provoque le sang dans la tte lorsqu'un individu est stressŽ ou soumis ˆ un effort particulirement intense.

Enora Žvoluait ˆ travers la vŽgŽtation, elle slalomait ˆ toute vitesse dans le maquis. Aussi vite que ses pieds la portaient, elle allait. La jeune fille svelte s'avanait dans les endroits les plus improbables fuyant quelque chose ou quelqu'un. Devant elle, la vŽgŽtation dense et imposante commenait ˆ s'Žparpiller pour devenir presque clairsemŽe lorsquĠelle dŽboucha, hors d'haleine, ˆ la lisire dĠun grand creux au milieu de la colline. Une chose faite de vieilles pierres usŽes, fissurŽes, fracassŽes par le temps et les intempŽries. Parfois ˆ certains endroits, il ne subsistait qu'un morceau de pierre esseulŽ et cassŽ en plusieurs morceaux; le tout formait quelque chose de lointain et fragile, mais Žtait tout de mme imposant. Cet Ždifice d'un temps lointain imposa le silence ˆ la jeune fille, tandis que ses yeux balayaient les restes de pierre.

Enora reprit peu ˆ peu conscience du monde qu'elle avait nŽgligŽ pendant sa course; les rayons de soleil sur sa peau lui laissrent un frisson tandis que le son strident des cigales emplissait doucement l'espace. Le corps de la jeune fille redevint lourd et accablŽ par la chaleur et l'effort. Oui, elle venait de courir sous cette chaleur pour rien, elle n'avait rien vu, c'Žtait une illusion, rien d'autre. Elle passa une main rapide dans sa chevelure brune, un geste qui montrait le soulagement de se retrouver dans un lieu si ouvert. Enora reconnut alors lĠendroit, c'Žtait l'amphithމtre situŽ au nord de la ville de Syracuse, il Žtait normal quĠelle marque un temps avant de reconna”tre le lieu, elle n'y avait pas mis les pieds depuis plus de cinq ans, depuis la mort de son oncle.

La jeune fille baissa les yeux devant le soleil battant d'Italie et chercha un point, une personne, elle ne trouva qu'un lieu dŽsert. Au moins elle n'aurait pas ˆ parler cette langue qui la fuyait depuis tant d'annŽes. Il fut un temps o elle la comprenait, mais cette Žpoque Žtait rŽvolue ; aujourd'hui cette langue lui Žtait redevenue compltement Žtrangre. Elle sortit alors de sa rverie et fit quelques pas, descendit ces marches de pierre o tant de gens avaient posŽ leurs pieds et s'arrta un peu plus bas. Son esprit Žtait vide.

Le regard d'Enora cherchait un point d'appui, comme pour soutenir son corps tout entier qui commenait ˆ tanguer sous la chaleur du soleil. Elle remarqua justement que celui-ci entrait dans sa phase descendante, car les ombres s'allongeaient lentement. Dans quelques heures la chaleur serait soutenable. Le sable qui se trouvait sous les pieds de la jeune fille crissait ˆ ses moindres mouvements lorsqu'elle alla s'asseoir sur l'un des bancs de pierre. Seule au milieu de cet ensemble, elle pouvait entendre le ressac de la mer qui un peu plus loin frappait les rochers. Elle resta un moment sans rien dire ni bouger, trop occupŽe ˆ Žcouter le chant des oiseaux. Au bout d'un moment, un bruit attira son attention, un bruit qui venait de derrire son dos, un bruit de pas. Son ventre se serra, crŽant un afflux de bile dans sa bouche mais elle prit son courage ˆ deux mains et tourna la tte pour dŽcouvrir une immense vague humaine qui dŽferlait droit sur l'amphithމtre.

Enora crut d'abord ˆ un arrivage de touristes, mais leurs habits Žtaient composŽs de chitons de couleurs et de tailles diffŽrentes. Les gens eux aussi Žtaient de taille, couleur, ‰ge et corpulence totalement diffŽrents. C'est ˆ ce moment que la jeune fille crut ˆ une reconstitution historique, mais cette idŽe lui sortit de la tte, car elle-mme semblait tre invisible aux yeux du groupe qui Žvoluait dans l'enceinte de pierre. Les personnes passaient, parlaient entre elles, mais aucune ne semblait prter attention ˆ la jeune fille. Certaines passrent devant elle en la regardant comme si elle faisait partie du dŽcor. Une certitude s'imprima dans son cerveau, ils ne la voyaient pas. Les yeux pŽtillants d'Enora s'agrandirent, elle se trouvait devant ce dont elle avait toujours rvŽ : un phŽnomne Žtrange.

Il n'y avait pourtant aucune brume macabre autour de ces gens, aucun signe d'un phŽnomne Žtrange. Enora dŽtendit ses muscles, elle allait trop vite en besogne, peut-tre que la reconstitution historique Žtait la meilleure option. Elle repensa au journal posŽ ce matin sur la table, aucun article ne parlait d'ŽvŽnement de ce genre, elle en Žtait plus que sžre. La jeune fille ferma les yeux et les rouvrit d'un coup. Tout cela semblait de plus en plus irrŽel, les gens continuaient ˆ Žvoluer dans l'amphithމtre, mais bient™t ils furent tous assis. Enora se tournait dans tous les sens pour voir si quelqu'un la regardait, mais personne ne faisait attention ˆ sa petite personne. Il se passa un moment sous le soleil qui perdait de son ampleur avant que les poils de la jeune fille se dressent sur sa peau, comme si quelqu'un la fixait. Elle se tourna et regarda autour d'elle, son regard rencontra celui de quelqu'un d'autre. Ils restrent un moment ˆ se fixer dans le blanc des yeux, avant que Enora, prise dĠune peur incontr™lable, se lve et s'Žlance dans l'Ždifice de pierre. Les yeux la suivaient tout de mme et c'Žtaient bien les seuls.

Ce regard vif et froid semblait dŽtailler ses moindres mouvements, pourtant il lui semblait qu'il y avait quelque chose de connu dans cet acte de dŽfi. La jeune fille ne cherchait plus qu'ˆ s'Žloigner de ces yeux,  ne pouvant distinguer le visage dans la foule. La chair de poule qui se formait par moment sur sa peau lui donnait rŽgulirement des frissons, tandis que le son des cigales se faisait plus fort et strident, comme une alarme qui vous crie Ç Danger !! È.

Enora bougeait mais sans oser sortir de l'amphithމtre, dans l'espoir de quitter ce regard juste un instant. Puis c'est tous les sens en alarme que la jeune fille commena ˆ voir le monde se dŽformer sous ses yeux. Elle n'avait que pour bruit de fond les maudites cigales et son champ de vision oscillait entre la vision brouillŽe du maquis ou de l'amphithމtre, puis ce fut le noir complet. 

Le rŽveil fut brutal, comme lorsque l'on reoit de l'eau en plein sommeil, ce fut la mme chose pour la jeune fille, sauf qu'elle ne reut rien, pas la moindre goutte d'eau, ni objet dĠaucune sorte. Pourtant, elle se sentait agressŽe par quelque chose, comme dans cet affreux rve. Sa peau collait ˆ ses vtements lŽgrement trempŽs par la sueur, le soleil Žtait dŽjˆ loin dans sa phase descendante, ce qui choqua Enora. Regardant le banc de pierre sur lequel elle Žtait penchŽe, et les plis et anfractuositŽs qu'avaient laissŽs la pierre sur sa peau. Combien de temps avait-elle dormi ? Ce rve n'Žtait-il pas trop rŽel pour exister ? En se remettant dans une position assise, elle serra ses mains, un sourire plus que lŽger aux lvres. Elle pensait vraiment qu'elle venait d'tre tŽmoin d'un trou spatio-temporel... Mais alors, ˆ qui Žtaient ces yeux ?...

Un bruit dans son dos, le crissement d'une chaussure sur le sable, un peu plus haut sur l'amphithމtre la fit sursauter. Les doutes Žtaient de retour dans ces mŽandres profonds servant de cerveau ˆ l'tre humain... Sa tte tourna doucement trop curieuse de dŽcouvrir le visage de la personne. Un jeune homme d'environ dix-sept ans se tenait adossŽ ˆ un arbre, une pause nonchalante qu'il rendait forte et qui lui confŽrait un air de supŽrioritŽ. Le sourire sur son visage et ses cheveux dĠŽbne en bataille apportaient un charme mystŽrieux ˆ lĠinconnu. Enora se tourna un peu plus, dŽtaillant ce regard qui la fixait, un mal-tre profond se propagea dans son tre, elle connaissait ce regard, c'Žtait le mme que dans son rve. Froid, vif, arrogant et sžr de lui. Pourtant, au plus profond de sa mŽmoire, il lui semblait avoir dŽjˆ rencontrŽ ce regard, mais o ? 

La jeune fille pronona d'une voix tremblante en oubliant de parler italien :

─ Vous cherchez quelque chose ?

L'allure dŽsinvolte de jeune homme lui apportait un charme. Lorsqu'elle lui parla, il se mit bien en face d'elle et dit d'une voix sžre et dans un franais parfait :

 ─ Oui ! toi, EnoraÉ

Comme une brise fra”che de la nuit tombante, sa voix fit comme Žcho dans sa tte, elle avait dŽjˆ rencontrŽ cette personne avant, c'Žtait une certitude maintenant. Il Žtait la personne qui l'avait surprise un peu plus t™t sur le chemin et l'avait forcŽe ˆ fuir en lui inspirant de la peur, mais comment connaissait-il son nom ?


 

 









 


 

 

 

 

 

Voyageuse

Solne Colin

 

 

En France, il fait chaud : 30Ħ. En Grce, plus encore : 45Ħ.

45Ħ ˆ suffoquer ainsi quĠˆ visiter des ruines, des musŽes et autres vieilleries.

Aprs ces deux phrases et demie, quelques explications sĠimposent. Mes parents sont de grands voyageurs, ce que les autochtones se plaisent ˆ appeler, en dĠautres termes des pigeons de touristes. Depuis leur plus tendre enfance, ils rvent dĠaller en Grce, pays de la dŽmocratie, du thމtre, et mme des jeux olympiques. Bref, un pays que tout le monde aimerait visiter. ExceptŽ moi.

En effet, je nĠai pas hŽritŽ de leur fibre de globe-trotters, ni de leur esprit dĠaventuriers. JĠaurai prŽfŽrŽ rester chez moi pendant les grandes vacances, au lieu de me retrouver ici, ˆ faire semblant dĠtre intŽressŽe par tout et nĠimporte quoi.

Aprs ces menus dŽtails, il serait peut-tre bien venu que je me concentre sur lĠessentiel et que je me prŽsente, non ?

Je mĠappelle Elora, jĠai 16 ans et jĠhabite en rŽgion parisienne (information trs importante, comme chacun sait). Je vais rentrer en 1re lĠannŽe prochaine, ce qui fait que je nĠai aucune annŽe de retard ou dĠavance. Quant aux notes, puisque je sais que a intŽresse pas mal de gens, et bien cĠest correct. Correct, ni plus ni moins. Pour en revenir ˆ lĠhistoire, donc, cette annŽe, mes parents se sont enfin dŽcidŽs ˆ franchir le pas, et la MŽditerranŽe, afin de visiter le pays de leurs rves. Seul bŽmol : ils mĠont pris comme colis. En effet, mes gŽniteurs mĠont inscrite en mme temps quĠeux, au sein dĠun groupe de randonneurs, dans lĠhonorable but de visiter les mystŽrieuses constructions grecques.

Le guide, qui rŽpond au doux nom de Philippe, est un petit homme, entre deux ‰ges, assez taciturne. CĠest certainement le seul point commun que nous ayons. Pour le reste, il semble passionnŽ par toutes les civilisations antiques, et adore marcher. JĠai lĠimpression quĠil prend un malin plaisir ˆ faire passer notre groupe par toutes les ruelles sans intŽrt.

Nous sommes en Grce depuis trois jours, et nous avons dŽcouvert Athnes, la capitale, ainsi que quelques villes aux alentours. Si jĠai bien compris, la suite du programme consiste en une sŽrie de longs trajets en bus, ˆ travers tout le pays, pour aller, ˆ Sparte, ˆ Olympie, et enfin ˆ lĠ”le de Rhodes.

Le plus beau, dans tout a ? Je suis malade en transportÉ

LĠhorloge du cafŽ auquel je suis attablŽe annonce 17 heures. Le bus part en dŽbut de soirŽe, il me reste donc de longues minutes ˆ attendre mon groupe. Depuis le lever du soleil, Philippe nous a emmenŽs ˆ travers plusieurs villages et certains musŽes. Nous avons marchŽ toute la journŽe, sous une tempŽrature extrmement ŽlevŽe, il est donc parfaitement normal que je sois fatiguŽe. NŽanmoins, je semble la seule : toutes les personnes de mon groupe (la plupart Žtant ‰gŽes dĠune soixantaine dĠannŽes) sont en pleine forme, ainsi que mes parents, qui ont dŽcidŽ de suivre le guide, dans lĠamphithމtre qui surplombe la ville o le bus est censŽ partir.

JĠai prŽfŽrŽ rester seule, ˆ siroter un jus dĠorange dans lĠunique cafŽ des alentours, dont lĠhorloge indique maintenant 17 heures 05. De ma place, jĠobserve lĠantique construction. CĠest le cinquime amphithމtre que lĠon voit depuis le dŽbut du voyage, et mme en me forant, je ne comprends pas lĠintŽrt de visiter pour la Žnime fois les mmes ruines.

AujourdĠhui, entre deux visites interminables, le guide nous a rŽvŽlŽ quĠil Žtait nŽ dans cette ville, et que ses parents et lui Žtaient venus en France alors quĠil Žtait ‰gŽ dĠˆ peine quelques mois, pour je ne sais plus quelle raison. Il y avait vŽcu une trentaine dĠannŽes, jusquĠˆ ce quĠil devienne guide pour certaines agences de voyages, et retourne dans le pays de sa naissance. Comme si sa vie pouvait nous tre dĠun quelconque intŽrtÉ

Tout ˆ coup, quelque chose appara”t dans mon champ de vision. Soit la chaleur me fait halluciner, soit mon pre est tout en haut de lĠamphithމtre, et me fait de grands signes de la main. Aprs quelques secondes dĠhŽsitation, le doute nĠest plus possible : il nĠexiste aucune autre chemise au monde aussi laide que celle que mon paternel porte aujourdĠhui. Cela ne peut tre que lui. Je me rŽsigne, pour lui faire plaisir, ˆ lui faire signe ˆ mon tour. Il semble spŽcialement nerveux. Je crois comprendre, dĠaprs ses mimiques Žtranges, quĠil me demande de venir dans lĠamphithމtre. Je commenais ˆ mĠennuyer sŽrieusement, et mĠŽtant lŽgrement reposŽe, je dŽcide dĠaller voir ce qui se passe. Qui sait, peut tre y aurait-il quelque chose qui sort de lĠordinaire ?

Tout en commenant lĠascension de la colline qui mne aux ruines, mon sac sur le dos, jĠespre secrtement quĠun ŽvŽnement inattendu, quel quĠil soit, raccourcisse notre sŽjour en Grce. EssoufflŽe, jĠarrive au niveau de lĠamphithމtre. JĠy pŽntre par une sorte de tunnel, assez poussiŽreux. Je crois un instant mĠtre trompŽe de chemin, quand jĠaperois un flot de lumire au bout. Je dŽbouche en plein milieu des gradins. LĠancien b‰timent nĠest pas diffŽrent de tous ceux que jĠai vus avant : circulaire, assez haut, de nombreux bancsÉ et quelques touristes dispersŽs ici et lˆ.

Beaucoup de gens disent que, en entrant dans un lieu trs ancien, il y a quelque chose de magique, comme un lien entre le passŽ et le prŽsent. Mais, malgrŽ de nombreuses visites de ruines et autres curiositŽs, je nĠai jamais rien ressenti de la sorte. Pas de magie pour moi.

Mes pensŽes et moi-mme nous faisons bousculer par un imposant touriste (certainement amŽricain, vu lĠaccent quĠil a quand il sĠexcuse de son impolitesse). Sortie de mon engourdissement, je jette un coup dĠÏil autour de moi, afin de repŽrer mon groupe. Lˆ o mon pre se tenait il y a plusieurs minutes, il nĠy a personne. Aucun amas de touristes franais ˆ lĠhorizon. GŽnial. Je fais plusieurs fois le tour des gradins, monte tout en haut de lĠamphithމtre, observe les alentours, redescends. Rien de rien, il est dur de cacher une vingtaine de personnes dans un amphithމtre. Il faut se rendre ˆ lĠŽvidence, o quĠil soit, mon groupe nĠest pas ici. Toute la fatigue accumulŽe depuis trois jours me rattrape, et je me laisse tomber sur un banc. Je sens que je mĠassoupis doucement. Le soleil commence ˆ dŽcliner. En mme temps que lui, mes paupires se ferment.

JĠentends un brouhaha anormal. Quand je rouvre les yeux, le soleil est miraculeusement revenu ˆ son zŽnith. Je regarde autour de moi, et je peux vous assurer que la remontŽe incroyable du soleil nĠest pas le plus extraordinaire de lĠhistoire. Je suis entourŽe de centaines de personnes en toges, tuniques ou autres vtements que plus personne ne porte depuis longtemps. Elles semblent toutes attendre quelque chose, et ont toutes le regard braquŽ sur la scne.

Mon esprit trs cartŽsien prend immŽdiatement la suite de mes pensŽes, et en conclut que je me suis endormie pendant presque une journŽe, que mes parents mĠont oubliŽe, tellement obnubilŽs par les merveilles de la Grce, et que des gens ont dŽcidŽ de faire une reconstitution dĠun spectacle grec dĠil y a plusieurs millŽnaires. Bon, dĠaccord, a ne tient pas la route. Elles sont o, les camŽras cachŽes ? QuelquĠun a certainement voulu me faire une Žnorme farce. Mais qui ?

Tout ˆ coup, un groupe dĠhommes appara”t au centre de lĠamphithމtre. CĠest alors que je remarque que lĠancienne construction, qui Žtait, avant que je ne mĠassoupisse, presque en ruines, est dŽsormais comme neuve. JĠai de plus en plus de mal ˆ comprendre ce quĠil mĠarrive. Un des hommes commence ˆ parler. CĠest marrant, a y ressemble, mais il ne parle pas grec. Ni anglais. NiÉ aucune langue que je connaisse. NŽanmoins, sa manire de sĠexprimer rŽveille en moi des souvenirs enfouis depuis plusieurs mois. Je capte quelques mots et jĠen comprends le sens quasi instantanŽment. Dans un flash, la rŽvŽlation se fait ˆ moi : cĠest bien du grec, mais du grec ancien.

Ah, cĠest vrai, petit intermde en plein milieu de lĠaction, mais il vaut mieux que je le prŽcise : mes parents, voyant que mon collge proposait certaines options, mĠont forcŽ ˆ faire deux heures de grec chaque semaine en troisime ainsi quĠen seconde. Mes deux annŽes dĠŽtude de cette langue morte mĠont permis dĠavoir quelques bases, mais cela fait tout de mme un choc dĠentendre parler une langue disparue depuis quelques milliers dĠannŽes.

Quelques milliers dĠannŽesÉ Soyons dĠaccord, soit cĠest le plus gros canular que jĠai jamais vu, soit jĠai remontŽ dans le temps jusquĠˆ la Grce antique. Je ne sais pas trop laquelle des deux solutions est la pire. Plusieurs choix sĠoffrent ˆ moi dŽsormais : je me lve en criant que jĠai compris que tout nĠest quĠune Žnorme blague, ou je ne bouge pas et jĠattends. Dans le doute, la seconde option lĠemporte.

Au centre de lĠamphithމtre, les hommes continuent ˆ parler, tout en faisant un semblant de mise en scne. Je crois comprendre que jĠai atterri en plein milieu dĠune sorte de spectacle ou pice de thމtre grecs. CĠest bien ma veineÉ JĠai quelques questions auxquelles il faut absolument que je trouve des rŽponses dans les plus brefs dŽlais. Premirement, est-ce que jĠai rŽellement remontŽ le temps, ou cĠest juste un concours de circonstances qui a fait que je me retrouve entourŽe de Grecs en toge ? Ensuite, et surtout, comment faire pour que tout redevienne normal ? Je dois lĠavouer, je commence ˆ me sentir mal ˆ lĠaise, et je prŽfŽrerais largement faire un autre sŽjour en Grce plut™t que de rester ici une minute de plus. Je regarde de nouveaux les gens qui mĠentourent, attentive au moindre dŽtail, mais je ne trouve rien qui mĠaide. JĠai lĠimpression dĠtre ici depuis des heures, alors que a ne fait que quelques minutes que jĠai Ç dŽbarquŽ È.

Soudain, un cri rŽsonne dans lĠamphithމtre. Le temps que je tourne la tte en direction du bruit, de nombreuses personnes se sont levŽes, et je suis incapable de distinguer quelque chose. Je me mets debout ˆ mon tour, et jĠarrive enfin ˆ apercevoir ce qui agite tout le monde. Un homme est Žtendu sur les gradins, un poignard plantŽ dans la poitrine. Un autre, ses vtements couverts de sang, sĠenfuit vers ce que je suppose tre une sortie. Personne ne lĠarrte, tout le monde semble tre sonnŽ. Alors que le meurtrier (je pense, avec raison, quĠon peut lĠappeler ainsi) dispara”t de mon champ de vision, plusieurs personnes commencent ˆ parler en mme temps. ‚a devient vite une cacophonie de bruits. Si ma prof de maths Žtait lˆ, elle dirait Ç Mais taisez-vous donc ! È. Mais elle nĠest pas lˆ, et je pense que je ne la reverrai peut tre jamais. Cela mĠŽtonne moi-mme, mais a me rend triste.

Des gens accourent auprs du blessŽ, certains crient. Il faut croire que le blessŽ en question est mort. Je ne comprends rien ˆ leurs paroles, mais les Grecs semblent vraiment bouleversŽs. Ë peine cette pensŽe me traverse t-elle la tte que je la trouve dŽbile : quelquĠun vient de mourir sous leurs yeux, et je trouve anormal quĠils soient traumatisŽs. Je pense plut™t que le problme vient de moi : ce nĠest pas mon Žpoque, je ne me sens presque pas concernŽe par ce quĠil se passe ici.

DĠaprs sa position dans lĠamphithމtre, ses vtements, et mes cours de civilisation sur la Grce,  jĠen conclus que lĠhomme qui vient de se faire assassiner Žtait quelquĠun dĠassez important. Peut-tre sĠest-il fait tuer pour cette raison ?

JĠen Žtais ˆ ce point dans mes rŽflexions quĠun autre mouvement agite la foule. Quelques soldats (chargŽs de la sŽcuritŽ en ville) viennent de pŽnŽtrer dans lĠamphithމtre par le haut de la construction. Ils tiennent lĠhomme que je reconnais comme Žtant le meurtrier par le bras. Manifestement, poignarder quelquĠun nĠŽtait dŽjˆ pas bien vu dans la Grce antique. LĠassassin nĠest pas allŽ trs loin, vu la rapiditŽ avec laquelle il est de retour. Tous les regards sont braquŽs sur lui. Tandis que le groupe descend vers la scne, jĠobserve lĠhomme, qui ne montre aucun signe dĠagitation. Il nĠest pas trs grand, les cheveux courts. Alors quĠil passe juste ˆ c™tŽ de moi, jĠaperois sur son cou un collier. Je nĠen avais jamais vu de tel. Il est en forme de caducŽe, avec deux serpents enroulŽs lĠun autour de lĠautre. DĠautres personnes semblent lĠavoir remarquŽ, elles le dŽsignent du doigt. JĠai lĠimpression quĠils craignent quelque chose. Mais quoi ?

‚a y est, le meurtrier et son escorte sont arrivŽs en bas. Dans la foule, un homme se lve, et commence ˆ parler. Plus personne ne dit mot. DĠaprs son attitude et dĠaprs les propos quĠil tient, il semblerait que cet individu soit chargŽ de la justice. De temps en temps, la plupart des Grecs hochent la tte, en accord avec ce quĠil dit. Je ne saisis que quelques mots, mais jĠarrive ˆ avoir une comprŽhension globale de ses longues tirades, dĠaprs le contexte. LĠhomme est, dĠaprs ma traduction approximative, un intendant qui rŽgit la justice dans les provinces avoisinantes, et il interroge lĠassassin sur ses motivations. Ce dernier rŽpond par phrases courtes, sobrement. Il esquive la plupart des questions, et se contente de raconter des choses sans rapport. Manifestement, personne ne lĠa poussŽ ˆ tuer quelquĠun, et il nĠavait aucune raison de le faire, pourtant, cĠest arrivŽ. CĠest ˆ nĠy rien comprendre. Quand lĠintendant lĠinterroge sur son identitŽ, lĠhomme dŽclare tre nŽ ici, et tre berger. Je nĠaimerais pas tre un de ses moutons.

LĠintendant lĠinterroge ensuite sur le collier quĠil porte au cou. Il a dž remarquer, comme moi, la rŽaction des Grecs quand ils ont aperu le caducŽe, sans comprendre la raison de cette agitation.

Et cĠest alors que le meurtrier prend la parole, pendant une bonne minute. JĠaurai prŽfŽrŽ ne rien comprendre, mais pour une fois, jĠai lĠimpression que ses paroles sont totalement claires, comme sĠil parlait dans ma langue maternelle. ‚a ressemble fortement ˆ une malŽdiction, et cela explique lĠattitude de tous les habitants de la ville, et lĠincomprŽhension de lĠintendant, qui nĠest pas natif de la rŽgion.

Le criminel annonce que ce collier, unique en son genre, lui a ŽtŽ donnŽ par son pre, qui lĠavait lui-mme hŽritŽ de son pre, qui lĠavait lui-mme hŽritŽ deÉ Bref, vous connaissez la suite. DĠaprs le meurtrier, ce collier a un passŽ des plus sanglants : ˆ chaque gŽnŽration, son possesseur est devenu un assassin.

Je nĠentends plus rien. Mon esprit dŽrive, ˆ la recherche dĠune quelconque logique. Tout ceci est insensŽ. DĠabord mon arrivŽe ici, dans lĠamphithމtre, mais surtout ˆ ce moment prŽcis de lĠhistoire, c'est-ˆ-dire il y a quelques millŽnaires, et ensuite cette histoire incomprŽhensible.

De nouveau, la fatigue mĠabat.

Tous les bruits autour de moi se sont tus. Le temps dĠun clignement de cils, et la lumire diminue perceptiblement. Les gradins sont dŽserts. Une grande tranquillitŽ mĠenvahitÉ je suis de retour ˆ mon Žpoque ! En effet, lĠamphithމtre est de nouveau redevenu ruines, le soleil est rasant, les pancartes indicatives sont rŽapparues. Poussant un soupir de soulagement, je me lve, les jambes engourdies. Ë ce moment-lˆ, jĠentends mon prŽnom :

– Elora ! On te cherchait partout !

Je me retourne, et aperois mes parents qui courent vers moi, ˆ travers lĠamphithމtre. JĠaperois le reste du groupe des marcheurs derrire eux. Un coup dĠÏil ˆ ma montre mĠindique quĠil est 18 heures. ArrivŽe ˆ ma hauteur, ma mre commence ˆ mĠexpliquer que je nĠŽtais pas au cafŽ dans lequel ils mĠavaient vue. Philippe a interrogŽ le serveur qui leur a indiquŽ que jĠŽtais partie il y avait plusieurs dizaines de minutes. Ils Žtaient retournŽs ici et mĠavaient enfin retrouvŽe.

Le guide croit de bon ton de dire :

– Que dĠŽmotions !

Mentalement, je lui rŽponds :

– Et encore ! Si tu savais ˆ quel point ma propre Žmotion a ŽtŽ mise ˆ mal, pendant cette dernire demi-heure.

Philippe Žclate de rire, voulant manifestement communiquer sa bonne humeur. Alors que je lui jette un regard dŽsespŽrŽ, je remarque un dŽtail qui ne mĠavait jusquĠalors pas frappŽ. Sur son cou, il arbore un collier en forme de caducŽe. Mon visage se glace.

Remarquant mon regard, il me prŽcise :

– Il est beau, hein ? CĠest mon pre qui me lĠa lŽguŽ.

Ma seule rŽponse se trouve tre :

– Je lĠaurai pariŽ.

Et je mĠenfuis en courant.


 

 


 

 

 

 

 

Le tableau malŽfique

Amandine Jacqueau

 

 

Je m'appelle Marc FRANCHELIER, j'ai 24 ans et É demain, je serai mort.

J'Žcris cette lettre pour raconter mon histoire et celle de mes trois amis, car c'est trs important ! Important pour moi, d'une certaine faon, mais surtout pour vous qui lirez ceci.

Cette lettre, c'est mon tŽmoignage. UN AVERTISSEMENT.

Ne croyez pas que je sois fou. Lisez cette lettre jusqu'au bout et vous dŽcouvrirez la malŽdiction qui nous a frappŽs. En fait, je ne sais pas par quoi commencer, cette aventure est tellement incroyable. Pourtant, j'insiste, il faudra vraiment me croire !

Aujourd'hui, mes amis sont tous morts. Il ne reste plus que moi et demain il m'aura tuŽ aussi. C'est ainsi. Je ne peux pas lutter contre ce monstre. Demain, je serai ailleurs, figŽ dans une autre dimension, prisonnier ˆ jamais dans son univers.

Alors, avant de quitter cette vie, voici notre histoire, mais vite, il faut que ce rŽcit soit terminŽ avant la nuit !

Nous Žtions quatre amis venus ensemble ici : ma fiancŽe Manon, mon copain Fred et sa petite amie MŽlanie. C'est Mel qui a eu l'idŽe de venir ici, sur cette ”le maudite ! Mel a toujours ŽtŽ la premire pour trouver les bons plans. Si nous avions su. Mais d'une certaine faon, nous savions, n'est-ce pas ? Enfin tout cela est tellement compliquŽ !

Tout a commencŽ lorsque nous avons dŽcidŽ de partir tous les quatre pour faire un petit voyage original. ‚a, pour tre original, il l'aura ŽtŽ ce voyage ! Nous avons votŽ pour une excursion sur le thme des sensations fortes et on s'est creusŽ la tte pour trouver une idŽe. Fred adore les histoires fantastiques, le surnaturelÉ et nous avons cherchŽ du c™tŽ des ch‰teaux hantŽs, des sŽjours un peu particuliers du type chair de poule.

C'est lˆ que Mel y a pensŽ.

Elle nous a racontŽ l'histoire d'un tableau malŽfique appartenant depuis une ŽternitŽ ˆ sa famille et dont on ne connaissait ni le peintre, ni l'origine. Les personnes en contact avec ce tableau disparaissaient soi-disant mystŽrieusement. Ses a•eux ne sachant que faire, s'Žtaient dŽbarrassŽs du tableau en le laissant dans une vieille demeure abandonnŽe leur appartenant, situŽe sur un ”lot dŽsertique o personne n'est plus jamais allŽ depuis. Elle avait compltement oubliŽ cette histoire. D'ailleurs aucun membre de sa famille depuis de nombreuses gŽnŽrations n'est jamais allŽ sur cette ”le par crainte de la malŽdiction. Aujourd'hui, plus personne ici, dans le village, ne conna”t cette curieuse histoire, ˆ part sa famille.

Alors pourquoi ne pas voir de quoi il s'agit ? Tout cela n'Žtait sans doute qu'une histoire fantastique inventŽe de toutes pices pour faire peur aux enfants de la famille qui n'Žtaient pas sages. C'est vrai aussi que nous Žtions sceptiques. Quelle histoire incroyable ! Comment une peinture pouvait-elle faire dispara”tre les gens ? Fred Žtait survoltŽ. Ma fiancŽe Manon et moi assez intriguŽs. Alors le voyage fut dŽcidŽ et Mel a pris soin de tout organiser sans rien dire ˆ ses parents.

C'est le vieux Franck qui est venu nous dŽposer ce samedi matin sur l'”le. Il possde un bateau et pour quelques billets, il Žtait d'accord pour nous emmener et pour revenir nous chercher une semaine plus tard. Nous Žtions heureux comme tout. Tous trs excitŽs. Nous avons couru jusqu'ˆ la maison. La clŽ Žtait sous le pot de fleurs. On est entrŽ. Une fois les volets ouverts, tout Žtait trs lumineux. Le soleil rentrait ˆ flot par les grandes fentres. Il y avait beaucoup de poussire et de toiles d'araignŽes mais la maison Žtait en bon Žtat. Nous avons dŽcidŽ d'aŽrer les pices et de faire un peu de mŽnage. Tout semblait normal alors. Nous nous sommes rŽpartis les t‰ches pour prŽparer la maison ˆ nous accueillir pour un sŽjour d'une semaine.

Tout Žtait calme et paisible. Rien de bien terrible ne semblait nous menacer.

La demeure comprenait de nombreuses pices avec des tableaux. Que des toiles banales : personnages, paysages et natures mortesÉ Lequel pouvait bien tre ˆ l'origine de la malŽdiction ? Aucune peinture ne reprŽsentait de scnes terrifiantes ou anormales.

Lors de mes allŽes et venues j'avais constatŽ qu'il n'y avait aucun tŽlŽphone dans cette maison, mais cela Žtait assez logique dans la mesure o personne n'y venait jamais. De toute faon, nous avions tous nos portables alorsÉ Fred s'Žtait chargŽ des provisions de bougies, lampes ˆ pŽtrole et lampes Žlectriques car ici, pas d'ŽlectricitŽ non plus. C'Žtait camping sur toute la ligne ! De mon c™tŽ, j'Žtais reparti poursuivre ma visite des lieux car j'avais dŽcidŽ d'essayer d'entrer dans la pice qui Žtait fermŽe ˆ clŽ et que nous n'avions pas pu ouvrir jusque-lˆ. J'avais fouillŽ partout et fini par trouver une vieille clŽ rouillŽe qui avait ouvert la porte. C'Žtait une sorte de grand salon avec une petite table basse, plusieurs fauteuils et une immense bibliothque. J'Žtais heureux de ma trouvaille, moi qui adore lire.

Il y avait ici aussi plusieurs tableaux dont un qui occupait pratiquement tout un pan de mur. Lorsque je l'ai regardŽ, celui-lˆ ne m'a pas semblŽ comme les autres, sans que je puisse expliquer pourquoi. C'Žtait un paysage avec de nombreux personnages. Je n'aurais su le dire alors, mais quelque chose Žtait bizarre et j'ai ressenti comme une gne en le regardant. J'ai prŽfŽrŽ quitter la pice pour finir de ranger mes affaires dans ma chambre. Puis j'ai oubliŽ tout cela.

Avec Fred, nous avons fait un petit tour dans l'”le. C'Žtait trs beau mais assez sauvage et dŽsertique. Le dŽpaysement assurŽ contre le stress citadin. Quelle joie ! Puis le jour a dŽclinŽ et nous sommes rentrŽs. La soirŽe s'est passŽe tranquillement, nous avons bien rigolŽ. La journŽe se terminait et toutes ces activitŽs nous avaient bien fatiguŽs. Nous avons dŽcidŽ d'aller nous coucher.

C'est le soleil qui m'a rŽveillŽ. Je n'avais mme pas fermŽ les volets tant j'Žtais pressŽ d'aller me coucher. Je suis descendu sans bruit ˆ la cuisine pour prendre mon petit dŽjeuner. Manon dormait encore ˆ poings fermŽs. Quelques minutes aprs, Mel m'a rejoint. Elle m'a demandŽ si je n'avais pas vu Fred car il n'Žtait pas dans la chambre lorsqu'elle s'Žtait rŽveillŽe. Je lui ai dit que je n'avais rencontrŽ personne et que Manon dormait encore. Nous avons supposŽ que Fred Žtait parti faire un jogging. Fred est beaucoup plus sportif que moi! Puis, Manon est arrivŽe et le temps est passŽ sans plus de nouvelles de Fred.

Nous avons commencŽ ˆ nous inquiŽter. N'aurait-il pas fait une chute en chemin ? Aprs tout, il ne connaissait pas l'”le et c'est trs escarpŽ. Nous avons criŽ et appelŽ en vain. Chacun a cherchŽ de son c™tŽ sans succs. Il a bien fallu admettre que Fred avait disparu. Quelle angoisse ! Mel devenait hystŽrique.

Mais enfin, comment peut-on dispara”tre comme a, se volatiliser ? C'est impossible.

Puis nous avons pensŽ ˆ la malŽdiction. Serait-il possible que l'un des tableaux ait vraiment fait dispara”tre notre ami ?

Manon s'occupait de Mel pour tenter de la consoler. Pendant ce temps-lˆ, je faisais le tour de la maison en regardant les tableaux, m'interrogeant sur le sort de mon ami. Au fil de mes allŽes et venues, je me suis retrouvŽ dans le grand salon. Rien ne semblait avoir changŽ : la belle bibliothque Žtait toujours lˆ. J'aurais eu plaisir ˆ y dŽcouvrir ses livres mais je ne me sentais pas bien dans cette pice. Je ressentais comme un malaise. Une curieuse sensation d'Žtouffement.

Le tableau Žtait lˆ. J'Žtais ˆ la fois attirŽ et mŽfiant. Je m'Žtais rapprochŽ pour l'examiner et quelque chose semblait diffŽrent. Un peu comme si les personnages avaient bougŽ ou changŽ de place. C'Žtait sans doute un tour que me jouait mon imagination. Mais qu'Žtais-je en train de faire, le nez collŽ ˆ la toile pour examiner les personnages et les dŽtails de la peinture ? Je suis pourtant d'une nature cartŽsienne. Je devais absolument reprendre le contr™le de mon esprit. Me raisonner.

C'est lˆ que je l'ai reconnu.

Fred ! J'Žtais sžr qu'il s'agissait de lui. Il Žtait lˆ dans la toile ! Je devenais fou.

La pice semblait tourner autour de moi. Je ne sais comment je me suis retrouvŽ assis dans l'un des fauteuils face au tableau. Mes yeux ne pouvaient plus quitter mon camarade. Je ne pourrais jamais dire cela aux filles. Non, certainement pas ˆ Mel ! Fred mon ami, tu sembles si triste assis sur ce banc dans le parc. D'ailleurs, tous les personnages de ce tableau sont tristes, mme les animaux.

Nous avons tous essayŽ d'appeler de nos portables, mais c'Žtait inutile, nous n'avions pas de rŽseau. Quelle ironie ! Nous voilˆ prisonniers d'une ”le, d'une maison.

La soirŽe est arrivŽe. Nous Žtions abattus. Je n'avais rien dit de ma dŽcouverte. D'ailleurs comment raconter cela ? Comment dire ˆ Mel que son petit ami Žtait scotchŽ sur un tableau comme un vulgaire post-it ? Ce soir-lˆ, la joie n'Žtait plus au rendez-vous comme la veille. Nous n'avions pas assez faim pour nous mettre ˆ table. Nous avons dŽcidŽ d'aller nous coucher directement. Les filles ont voulu rester ensemble car Mel Žtait trop mal. Cette nuit-lˆ, j'ai trs mal dormi. Guettant tous les bruits et le moindre craquement. M'attendant ˆ voir surgir le tableau venu pour m'absorber. Puis la fatigue l'a emportŽ sur la peur.

Malheureusement, le troisime jour sur cette ”le maudite allait nous enfoncer encore un peu plus dans l'horreur et dans l'absurde. Manon est arrivŽe comme une furie dans la chambre en criant que Mel avait disparu ˆ son tour. Manon appelait, hurlait dans la maison, puis partout sur l'”le. J'Žtais dŽsespŽrŽ, vide, inerte. Comme un zombie, je suis allŽ dans le grand salon. Je savais dŽjˆ ce que je cherchais. Je savais dŽjˆ ce que j'allais dŽcouvrir. O ?

Puis j'ai trouvŽ Mel. Cela n'a pas ŽtŽ trs long pour la trouver. Ma pauvre Mel, si gaie et ici, si triste. Par quel sortilge Žtait-elle rentrŽe dans le tableau ? Si loin de Fred seul sur son banc. SŽparŽs tous les deux ˆ jamais. J'ai eu comme un Žtourdissement devant le tableau. Il fallait bien que j'en parle ˆ Manon. Impossible de garder plus longtemps ce secret. Ë deux nous serions plus forts pour nous dŽfendre contre ce monstre. J'ai tout dit ˆ Manon. Au dŽbut, j'ai bien vu qu'elle me prenait pour un fou. Alors, je l'ai emmenŽe devant la toile et lui ai montrŽ nos deux amis. Elle a bien ŽtŽ obligŽe de me croire. Ce qu'elle avait sous les yeux Žtait une Žvidence. Elle Žtait terrifiŽe.

Nous avons encore essayŽ d'utiliser nos portables pour appeler au secours. En vain. Pas de rŽseau sur cette ”le maudite! Aucun moyen d'appeler ˆ l'aide. Et le vieux Franck ne devait revenir nous chercher que samedi prochain. MalŽdiction ! Nous n'Žtions que lundi. Comment pouvions-nous survivre jusque-lˆ ?

C'est ˆ ce moment-lˆ que j'ai eu lĠimpulsion de dŽtruire le tableau. J'ai dŽcrochŽ le tableau et je l'ai fracassŽ sur la table basse. Il Žtait lˆ dŽchirŽ. Mes pauvres amis, nous ne pouvions plus rien pour vous. Vous auriez certainement compris et fait pareil pour sauver vos vies. J'espŽrais simplement ne pas vous avoir fait de mal. Je suis allŽ voir Manon pour lui dire ce que j'avais fait. Elle Žtait si p‰le. Ses yeux Žtaient rouges d'avoir trop pleurŽ. Elle m'a sautŽ au cou pensant qu'enfin nous Žtions sauvŽs.

J'ai voulu lui montrer le tableau dŽtruit. Nous sommes montŽs dans le salon et Manon s'est Žvanouie. Comment Žtait-ce possible ? Le tableau qui Žtait en miettes dix minutes avant, Žtait intact sur le mur. Bien ˆ sa place.

Manon a repris ses esprits. Elle est sortie de la pice comme un automate. Puis brutalement, elle est revenue en hurlant, a attrapŽ le tableau et est partie avec en courant. Manon que faisais-tu ? J'ai couru aprs elle. Je l'ai trouvŽe au bord de la falaise. Elle a lancŽ le tableau dans le vide. Il a planŽ un peu, puis s'est enfoncŽ dans l'eau. L'histoire aurait pu s'arrter lˆ. Nous aurions ŽtŽ bien malheureux d'avoir perdu nos deux amis, mais nous aurions survŽcu avec le souvenir de ces deux tres exceptionnels dans nos esprits et dans nos cÏurs. Mais le destin est parfois stupide, souvent facŽtieux et toujours tortueux. Lorsque nous sommes rentrŽs dans la maison, sans mme nous parler, ni nous consulter, nous sommes montŽs au grand salon. Manon voulait savourer sa victoire. Moi, j'avais dŽjˆ un pressentiment et lorsque nous sommes entrŽs dans la pice, je n'ai mme pas ŽtŽ surpris de voir le tableau tr™ner sur le mur ˆ sa place habituelle. Manon Žtait dŽsespŽrŽe. Nous nous sommes assis dans les fauteuils, prostrŽs, accablŽs.

Alors nous avons dŽcidŽ de le bržler. Tentative ultime dans notre fureur pour nous dŽbarrasser de cette horreur. Malheureusement, notre action Žchoua encore. Le tableau avait dŽcidŽ de rena”tre de ses cendres. Ce phŽnix monstrueux Žtait toujours en place sur le mur. Nous venions de comprendre que cette chose, ce tableau cannibale Žtait le plus fort. Cet avaleur d'tres humains Žtait indestructible. Comment lutter?

La journŽe avanait et il fallait bien se rendre ˆ l'Žvidence que l'un de nous allait mourir aussi cette nuit. L'un de nous allait dispara”tre, allait passer de l'autre c™tŽ. Dans ce tableau malŽfique. Comment imaginer cela ? Nous avions encore tant de choses ˆ faire ensemble. Tant ˆ nous dire. Nous aurions pu nous marier, avoir des enfants, tre heureux et vieillir ensemble. Nous ne pouvions prŽvenir personne de notre malheur. Toujours aucun rŽseau. Toujours aucune aide ˆ attendre de qui que ce soit. Seuls, abandonnŽs, livrŽs ˆ notre terrible destin. Comment aurait-on pu savoir o nous Žtions ? Le secret avait ŽtŽ bien gardŽ pour que le voyage puisse se rŽaliser.

Puis nous avons eu l'idŽe de coucher dehors, puisque le tableau n'agissait que dans la nuit. Et si le tableau n'avalait que ceux qui sont dans la maison avec lui ? Nous devions tenter cela pour survivre. Nous avons d”nŽ un peu, dans la tristesse. Puis nous avons pris tout ce qu'il fallait pour dormir ˆ la belle Žtoile afin de conjurer le sort. Dans les bras l'un de l'autre, nous n'Žtions pas rassurŽs. En d'autres temps, en d'autres lieux, nous aurions apprŽciŽ ce ciel ŽtoilŽ. Mais lˆ, ˆ cet instant, le cÏur n'y Žtait plus. Mon Dieu, faites que nous vivions et que demain nous soyons deux !

Le quatrime jour, je me suis rŽveillŽ tout engourdi et j'ai aussit™t hurlŽ ma douleur. Manon n'Žtait plus lˆ ! Le monstre dŽvoreur m'avait pris Manon. Il m'avait volŽ mon amour. J'avais l'impression de vivre un cauchemar. Comment une monstruositŽ pareille pouvait exister ? Qui avait pu peindre un malŽfice tel que celui-lˆ et pourquoi ? J'ai couru jusqu'au tableau pour voir Manon. O Žtais-tu mon ange ? O tĠavait-il incrustŽe ? Oh, je t'ai vue lˆ, si p‰le et si triste comme hier. Tu Žtais ˆ la fentre ouverte de l'une des maisons. AccoudŽe sur le rebord de la fentre, le menton appuyŽ dans les paumes de tes mains, tu semblais attendre quelque chose, quelqu'un d'un air dŽsespŽrŽ. Etait-ce moi que tu attendais, Manon ? Et quand mon tour viendra, o vas-tu me figer, monstre de peinture ? Je sais que tu es assez mauvais pour me piŽger loin de Manon lorsque tu m'auras emprisonnŽ dans ta gouache. Comme ce pauvre Fred assis sur son banc, loin de Mel agenouillŽe dans l'herbe prs d'un Žtang.

Mais tout cela ne servait ˆ rien. Ë quoi bon continuer ˆ te parler, c'Žtait inutile. Et me voilˆ devenu fou en train de discuter avec un tableau. Je me suis assis dans le fauteuil, seul face ˆ ce qui allait tre mon tombeau. C'Žtait de la folie ! J'avais du mal ˆ imaginer qu'il ne me restait qu'ˆ peine une journŽe ˆ vivre. Que demain je serais mort. Pour qui, pourquoi ? J'allais mourir sans savoir, seul, sur une ”le dŽserte au milieu de l'ocŽan, sans avoir pu dire mme adieu ˆ ma famille. Ma disparition serait un mystre pour les miens comme pour ceux de mes compagnons. Le destin est curieux tout de mme. Sauriez-vous quoi faire si l'on vous disait qu'il ne vous reste que quelques heures ˆ vivre ? On a mille choses qui viennent en tte. On ne veut pas g‰cher le peu de temps qui reste. Comment choisir ce qu'il faut faire ? Cela dŽpasse la pensŽe. On tourne en rond, on regarde la pendule. On regarde sa montre, les minutes passent et vous rapprochent un peu plus de la fin.

Inexorablement la mort approche.

Et puis, il y a le sursaut de l'injustice. La raison reprend le dessus. J'avais perdu et tu avais gagnŽ. Je ne pouvais pas faire autrement que d'accepter ma dŽfaite et ta victoire mais perdu pour perdu, je n'allais pas partir sans rŽagir. D'accord, j'allais mourir, c'Žtait maintenant une Žvidence, mais il fallait que je fasse quelque chose contre toi. C'est lˆ que j'ai eu l'idŽe d'Žcrire un message pour qu'un jour, celui qui me lirait ne meurt pas ˆ son tour. J'ai dŽcidŽ d'Žcrire une lettre, un avertissement, pour laisser aussi une trace de moi. Pour ne pas mourir tout ˆ fait pour rien. Pour Fred, pour Mel et pour Manon. Si seulement cela pouvait servir ˆ faire que ce tableau maudit ne fasse plus de victime. Vous aurez donc bien compris que cette peinture qui se trouve dans le salon est malŽfique et qu'elle agit la nuit. Alors prenez garde, vous qui lisez ceci ! Fuyez cette ”le avant la nuit, s'il est encore temps !

Voilˆ, ma lettre s'achve. La journŽe se termine. La nuit arrive. J'ai rŽussi ˆ terminer mon rŽcit. Je n'ai plus de mots. Je ne sais plus quoi dire de plus. Ë quoi bon d'ailleurs, tout est fini. Bient™t, je vais dispara”tre ˆ jamais. Mon tour est venu. Ne croyez pas que je sois courageux. Non, ce n'est pas du courage. Je ne peux mme pas me battre. Je suis juste rŽsignŽ.

ADIEU ƒtranger, il faut surtout bien remettre cette lettre o tu l'as trouvŽe pour qu'elle serve encore et maintenant, FUIS !

Marc FRANCHELIER, le 6 mai 2008

 

****

 

La semaine de vacances est terminŽe. Le vieux Franck est fidle au rendez-vous. Il s'est amarrŽ dans la crique mais personne n'est lˆ. On avait pourtant dit 16 heures ! Le vieil homme attend un peu et tue le temps en fumant sa pipe. DŽcidŽment, pense-t-il, cette jeunesse insouciante n'est mme pas capable de respecter les horaires ! Moi de mon temps É

Le vieux Franck a dŽcidŽ d'aller chercher les jeunes impolis, il est dŽjˆ 17 heures. Ils vont l'entendre ! Il entre dans la maison et appelle, en vain. Personne. Il pense que ces gamins ont voulu certainement faire une dernire promenade sur l'”le et n'ont pas vu l'heure passer. Aprs tout, autant rester un peu au frais dans cette maison accueillante, dehors il fait chaud et Franck a soif.

Et s'il faisait une petite visite des lieux en attendant. Aprs tout qui pourrait lui en vouloir ? Il ne fait rien de mal. C'est une belle maison avec beaucoup de pices. Le grand salon est agrŽable et les fauteuils sont confortables. Le vieux Franck s'installe devant un grand tableau. Belle peinture ! Mais un peu curieuse quand mme cette toile. Au premier plan, il observe un jeune homme qui semble vraiment terrifiŽ. Ses yeux immenses et sa bouche grand ouverte lui donnent un air affolŽ. Il semble vouloir hurler quelque chose. Franck se demande ce que le peintre a bien voulu reprŽsenter. C'est curieux, d'ailleurs, ce garon lui rappelle quelqu'un, mais il ne saurait dire qui. Ah la mŽmoire !

Le vieux Franck s'est assoupi. Ë son ‰ge cela lui arrive souvent lorsqu'il est confortablement assis. En s'Žveillant, il voit qu'il fait dŽjˆ trop sombre dehors pour reprendre le bateau. Mais o sont donc passŽs ces jeunes Žtourdis ? Il serait plus prudent d'attendre demain pour repartir, tant pis pour eux. C'est dŽcidŽ, demain matin ˆ la premire heure, il rentrera. Le vieux Franck est toujours installŽ devant cette peinture. Ce garon l'intrigue. Que veut-il dire ? On dirait qu'il vous appelle. Un peu comme s'il voulait dire quelque chose, mais quelque chose de grave. Franck se demande bien ce que ce garon aurait pu lui dire s'il avait pu lui parler. D'ailleurs, en le dŽtaillant bien, Franck remarque que le jeune homme brandit une lettre dans sa main, comme si sa vie en dŽpendait. Franck s'approche, mais il n'arrive pas ˆ lire ce qui est Žcrit.

Le vieil homme se gratte la tte et songe que tout cela est bien trop compliquŽ pour lui. D'ailleurs, il n'a pas envie de dŽcouvrir le message de cette peinture si triste et si banale. L'art il n'y conna”t rien et les peintres sont si bizarres. Non, Franck a bien mieux ˆ faire. Il a sommeil et un petit somme lui fera le plus grand bien.

Dans sa sagesse, le vieil homme sĠest toujours dit : Ç Prenez le temps de vivre, demain sera un autre jour È.

 









 


 

 

 

 

 

Vivir

Ana•s Laville

 

 

Ç Seul l'amour peut garder quelqu'un vivant. È

Oscar Wilde

 

 

Lundi 4 avril 2005

Le soleil n'Žtait pas attendu dans cette clairire obscure sauf par deux humains vivant parmi les morts.

Alors que l'aurore se dŽcouvrait au-delˆ de ces sculptures de bois, les traits d'une de ces Ïuvres naturelles se fit apercevoir. Gigantesques, les jambes de cet tre vivant s'Žparpillaient autour de lui pour s'enfoncer dans les labyrinthes de la vie souterraine. Son corps de cristal Žblouissait chaque tre passant par lˆ. Ses bras permettaient aux oiseaux, tres de lumire, de jouir d'une vue saisissante sur leur habitat.

Tel un triangle dont le sommet serait cette boule de feu, deux tres guidŽs par la lumire Žmanant de cette sculpture de bois unique, deux ‰mes enfermŽes dans leur corps s'avanaient lĠun vers lĠautre. L'un scrutait ce qu'il ne pouvait pas voir, tandis que l'autre fouillait les maladies du sol. En dŽsaccord avec les ŽlŽments naturels qui les entouraient, mais dans un mme Žtat d'esprit, les traits tendus, les veines du cou marquŽes, les yeux bržlants, les mains tremblantes, les jambes flageolantes. Tout en eux marquait la peur. Pour ne pas Žveiller les habitants de cet ensemble de verdure, ou ceux qu'ils ne voulaient pas voir, ils s'approchrent de cette magnifique sculpture, dans le silence, sans un bruit, sans un souffle et s'y collrent, enfin heureux de sĠtre retrouvŽs. Les longs cheveux ch‰tains de la jeune fille cachaient une partie de son visage marquŽ par la douleur de sa vie, et sa robe violette ˆ bretelles exprimait la lŽgretŽ de son ‰me. Elle n'avait plus peur. Elle Žtait libre. Lui, souriant comme ˆ chaque fois qu'il se trouvait ici ˆ c™tŽ d'elle, portait un t-shirt Žpais comme pour cacher les blessures de son cÏur.

Ils restrent silencieux et savouraient ce moment si rare o personne ne pouvait les dŽranger. Ils se prirent doucement la main et leurs bras s'enroulrent autour de leur corps. Tte contre tte, Žpaule contre Žpaule, ils respiraient calmement, heureux d'tre lˆ ensemble. Un rayon de soleil traversa l'Žtendue bleue, les sculptures de bois furent violemment sŽparŽes par cette douce flamme qui se rŽpercuta autour de ces tres, de ces ‰mes pures, formant un cercle qui les protŽgeait de ce monde maudit. Aprs cette euphorie  dĠamour, les douloureux sujets de la vie quotidienne surgirent ˆ nouveau. Horacio, voyant le triste visage de l'Žlue de son cÏur, murmura :

─ Ta famille ?

Le visage de la jeune fille se crispa, les battements de son cÏur s'accŽlŽrrent, des larmes roulrent sur ses joues, puis Žclatrent, tel une bombe, sur le sol. Elle ne pouvait prononcer un mot. Il cherchait quelque chose ˆ lui dire, pour l'apaiser, Ç Nous trouverons bien une solution È, mais n'Žtait-il pas dans la mme situation qu'elle ?

─ J'ai l'impression d'tre un objet flŽ, mal conu, vouŽ ˆ la destruction, jusqu'au moment o il n'aura plus aucune utilitŽ, et oÉ

─ Ne le dis pas ! sĠŽcria t-il. Tu es ce que j'ai de plus important au monde, que je chŽrirai toujours. Tu es l'hirondelle et la rose. Le moineau et la marguerite. Mon bonheur et ma joie. Je ne supporte plus qu'ils te laissent comme a, quĠils te donnent cette vision de toi.

Elle lui prit les mains en le regardant avec tendresse, elle aurait voulu lĠembrasser, lui dire tant de belles choses, qui ne sortaient pas de sa bouche ˆ cause de la famille...

─ Je finirai ˆ la casse acheva t-elle dans un sanglot.

Les deux adolescents se turent ˆ nouveau, analysant le monde cruel o ils Žtaient nŽs : quĠŽtait-elle pour sa famille?

─ Pourquoi, pourquoi dis-tu a ? Ils ne peuvent pas t'..., gŽmit-il dŽsemparŽ.

Elle s'Žtait arrtŽ de pleurer et le regardait tristement.

─ M'abandonner ? Quand un bouquet de fleurs est fanŽ, ne le jettes-tu pas ? Et bien lˆ, c'est pareil. Je n'Žtais qu'une nouveautŽ, un truc, un machin, un bidule nouveau qui suscitait la curiositŽ. Mais aprs quelques jours, ils se lassrent de moi. Ils ne m'ont jamais aimŽe, et me le font comprendre tous les jours !

Il l'entoura de ses bras et ils restrent enlacŽs sans un mot, imaginant un instant que ses bras Žtaient des barrires de sŽcuritŽ les protŽgeant du lieu o ils Žtaient contraints de vivre malgrŽ eux.

Leur rencontre, elle avait eu lieu un matin plus joyeux que celui-ci ; le ciel Žtait orangŽ, les oiseaux chantaient. Ils allaient en cours et devaient passer par ce chemin, par cette fort, par cet arbre pour sĠy rendre. Chacun dans un sens.

Elle arrivait pressŽe, des livres et des feuilles dans les bras, se prit les pieds dans une racine. Elle tomba. Horacio apparut en courant, lĠaida ˆ sĠasseoir contre lĠarbre, puis ramassa ses affaires. Il se tourna vers elle pour les lui tendre et capta son regard. Ce fut le coup de foudre. Sans un mot. Puis Horacio pansa sa blessure, lĠaida ˆ se relever, ils se sourirent tendrement, et elle partit. Ce fut le dŽbut dĠune longue histoire dĠamour qui dure depuis un an et demi aujourdĠhui, des attentes, des rendez-vous secrets mais un amour vrai, sensible et sincre.

La montre d'Horacio sonna, les rappelant ˆ cette vie qu'ils nĠacceptaient que pour se voir. Ils abandonnrent leurs mains et se quittrent des yeux, se retournrent sans un mot, et partirent chacun dans un sens opposŽ, car personne ne devait savoir, sinon ils n'auraient plus aucune raison de vivre.

Mardi 5 avril 2005

Les arbres Žtaient lˆ, les mmes. Le soleil Žtait levŽ depuis quelque temps dŽjˆ mais le ciel restait gris, noir, sombre. Les nuages cachaient cette fort, cet ensemble de verdure, champignons et autres poisons naturels en tout genre. LĠarbre, point de rendez-vous des deux adolescents Žtait toujours lˆ. Horacio Žtait lˆ aussi, ˆ c™tŽ de cet arbre qui ne resplendissait pas contrairement ˆ hier. Non, il Žtait plut™t terne, sans vie. Elle Žtait en retard. Adela avait une demi-heure de retard ! Le regard inquiet, les doigts manipulant des parties de sa lvre, Horacio Žtait tourmentŽ. En effet, Adela, nĠavait jamais ŽtŽ en retard depuis leur rencontre.

Soudain il entendit quelquĠun pleurer. CĠŽtait elle. Assise, pleurant, criant de dŽsespoir, dĠincomprŽhension. Il lĠentoura de ses bras, elle voulut sĠen aller. Il mit sa tte dans son cou, elle cria encore plus fort. Il lĠembrassa, elle essaya de le gifler. Il lui dit Ç CĠest moi È, elle pleura et cacha son visage. Il lui saisit la main, et lĠenveloppa dĠune Žcharpe, pour lui apporter son secours. Il se mit face ˆ elle, il resta saisi. PŽtrifiŽ dĠhorreur. Sa chre et tendre avait une lvre fendue, le visage en sang. Il ne dit rien et lĠentoura de ses bras protecteurs.

─ Ils savent tout, murmura t-elle dĠeffroi. Ils veulent mĠenvoyer loin, dans un couvent peut-tre, ajouta t-elle en pleurant. Ils mĠont dit que si on se revoyait, ce sera comme a tout les soirs jusquĠˆ ce que je comprenne. 

Il sentit la colre monter en lui, ˆ la vitesse de la lave dĠun volcan qui se dŽverse sur les villes alentour. Soudain, elle vit un rayon de lumire qui lui tendait la main. Un rayon de soleil, qui passait ˆ travers les sculptures de bois, et les oiseaux se mirent ˆ chanter, elle les entendit pour la premire fois.

Elle savait quĠil nĠy avait pas dĠautre solution pour tre heureux.

─ Et siÉ et siÉ Et si on partait ? proposa-t-elle doucement.

─ Partir ? Ensemble ? Quitter nos familles pour toujours? Dans un autre pays ?

─ Oui, partir loin dĠici. Quitter nos familles. Partir ensemble. Vivre, enfin.

─ Rendez-vous ici, ˆ 23 heures, ce soir. Si tu as un problme, jĠattendrais le temps quĠil faudra pour te voir, et tre avec toi.

Ils se quittrent comme le jour prŽcŽdent : sans un mot, par des chemins opposŽs.

 

Mardi 4 avril 2006

La fort para”t bien vide sans eux. En effet, personne ne se promne ˆ lĠaube. Aucun amoureux des temps modernes nĠont pris leur place.

 

Ç  Vivre est un bonheur que certains aiment interdire. È

 



 









 

 

 

 

 

Le rocher

Ella Brabra

 

 

Lundi 2 septembre

 

Le soleil se lve ˆ peine que Dina est dŽjˆ sur pied.  Aujourd'hui c'est la rentrŽe des classes pour les enfants, premier jour de travail pour elle, et surtout cela fait exactement deux mois que son mari les a quittŽs.

7h30 : tout le monde est ˆ table pour prendre le petit dŽjeuner ensemble, d'ailleurs c'est la seule et unique fois o ils se rŽunissent autour d'une mme et unique table depuis le drame. Le silence rgne, seul le tintement des couverts se fait entendre. Dina n'ose pas prendre la parole craignant la rŽaction de ses enfants. Depuis le dŽpart de leur pre, ils sont trs vulnŽrables. Pour bien commencer la journŽe elle se tait et rŽflŽchit ˆ la longue journŽe qui l'attend. Le petit dŽjeuner sĠachve dans un silence absolu. Dina monte au premier Žtage aprs avoir dŽbarrassŽ la table et nettoyŽ de fond en comble toute la maison, ce soir elle n'aura sžrement pas le temps. Elle rencontre sa fille dans les escaliers et s'empresse de lui dŽposer un petit baiser avant que celle-ci ne rechigne. Son fils, lui, est dŽjˆ parti sans avoir pris la peine de lui dire au revoir, ou de lui souhaiter bonne chance pour son premier jour de travail. Depuis le dŽpart de son pre, il s'est enfermŽ dans un mutisme total. Ses seuls compagnons sont son ordinateur ainsi que son lecteur mp3. Dina se dit qu'aprs quelques mois, il serait forcŽ de revenir vers elle. Mais plus les jours passent, plus ses espoirs s'amenuisent. Plus le temps de penser ˆ tout a, elle doit se prŽparer pour son premier jour de travail. Elle rŽcupre l'entreprise de son mari o elle Žtait simple secrŽtaire quand il Žtait encore parmi eux.  Maintenant elle se retrouve ˆ la tte d'une entreprise, et ne sait absolument pas la gŽrer. Mais dans son testament, Joey a insistŽ pour que sa femme prenne sa place en tant que Directrice GŽnŽrale.

Elle doit reprendre cette entreprise cožte que cožte. Elle finit de se prŽparer, et descend dans le garage afin de prendre la voitureÉ Celle de son mari. Elle sent encore son odeur, ce parfum quĠelle aime tant. Elle se rappelle aussi ces jours o il disparaissait ; il prenait sa voiture et ne revenait que le lendemain. Elle nĠa jamais su o il allait, il nĠa jamais voulu le lui dire. Elle est convaincue quĠil nĠŽtait pas avec une autre, cela lui suffisait pour garder le silence. Maintenant quĠil nĠest plus lˆ, elle a un besoin considŽrable de savoir o il sĠŽchappait lorsquĠil Žtait maussade.

Elle dŽmarre la voiture, il nĠest plus possible de faire retour arrire. Elle doit absolument reprendre sa vie en main et sauver ses enfants qui ne sont pas des anges, mais cela est tout ˆ fait comprŽhensible, ils ont perdu leur pre et sont en pleine crise dĠadolescence. Tout repose sur ses Žpaules ˆ prŽsent. Elle sĠarrte au feu rouge en freinant violemment, ses pensŽes lĠont emportŽ et elle en a oubliŽ quĠelle conduisait. Juste au moment o elle reprend sa route, elle dŽcouvre une petite feuille tombŽe du porte-document, et qui se retrouve maintenant  sur ses genoux. Derrire elle, les conducteurs klaxonnent, elle nĠa  pas le temps de la lire. Elle la remet donc dans le porte-document, et poursuit son chemin, pensant que cĠest une feuille sans rŽelle importanceÉ

ArrivŽe enfin ˆ lĠentreprise, tous les employŽs la regardent dĠun air dŽsolŽ. Tous viennent lĠaccueillir, car depuis la mort de son mari, elle ne les a pas revus. Elle serre la main ˆ quelques-uns, fait la bise ˆ dĠautres et sĠŽclipse dans son bureau. Il est restŽ intact. Elle doit ˆ prŽsent prendre ses affaires et quitter ce bureau qui ne lui appartient plus.

Une fois installŽe dans le bureau de son dŽfunt mari, une larme se forme dans le coin de son Ïil. Elle sĠest pourtant jurŽ de ne pas en verser ; elle lĠefface du revers de sa manche. Puis elle dŽpose une annonce afin de trouver une nouvelle secrŽtaire, car elle en a bien besoin. Pourtant son frre Jimmy lui a proposŽ son aide, mais elle sait que ce nĠest pas une proposition sincre : il veut rŽcupŽrer lĠentreprise et la mettre ˆ son nom. La relation quĠelle a avec sa famille est quelque peu confuse depuis la mort de Joey, mais Dina prŽfre ne pas y penser, elle a dŽjˆ assez de problmes comme a. Elle refuse gentiment, prŽtendant que son mari tenait absolument ˆ ce que ce soit elle qui en prenne les commandes.

DŽjˆ 12h. Elle nĠa pas vu le temps passer ; absorbŽe par ses recherches, elle a oubliŽ de rŽcupŽrer Lilly ˆ lĠŽcole. Elle est sžre que celle-ci nĠoublierait pas de le lui faire remarquer. Elle sĠempresse  dĠenfiler son manteau et de se prŽcipiter vers lĠŽcole. Elle veut absolument tre une bonne mre pour ses enfants car ils ont dŽjˆ perdu leur pre. ArrivŽe ˆ lĠŽcole, Lilly ne sĠy trouve pas. PaniquŽe, elle lĠappelle. Elle ne dŽcroche pas. Dina est furieuse, elle lui a pourtant dit de ne jamais quitter le collge tant quĠelle nĠŽtait pas arrivŽe. Elle dŽcide donc de revenir ˆ lĠentreprise en Žtant sžre que Lilly dŽjeunait quelque part dans le coin avec ses amis.

18h15 : Dina rentre tout ŽpuisŽe de son travail. Son fils Robbie nĠest toujours pas rentrŽ. Lilly est dans sa chambre et sĠadonne ˆ ses Ç devoirs È, pour lĠinstant Dina ne veut pas Žvoquer le problme de ce midi.  La journŽe a ŽtŽ rude et elle nĠa aucune envie ni dĠappeler son fils pour savoir o il est ─ ce qui dŽclenchera chez lui une crise de colre ─, ni de demander ˆ sa fille o elle se trouvait ce midi. Elle fait couler un bain, commande des pizzas, elle est trop fatiguŽe pour faire le d”ner, et Lilly ne sait pas faire une omelette. Une fois sortie de son bain, on sonne ˆ la porte, ce sont les pizzas. La soirŽe est trs courte car le sommeil lĠemporte rapidement.

 

Mardi 3 septembre

Deuxime journŽe de travail pour Dina.

Le rŽveil est difficile. La nuit, elle sĠest rŽveillŽe plusieurs fois pour chercher la main de son mari, qui nĠest plus lˆ. Elle nĠarrive toujours pas ˆ se faire ˆ son absence. Ce qui lui semble bizarre, cĠest cette odeur de pancakes qui flotte dans lĠair. En descendant les escaliers, elle dŽcouvre Ellen. Sa sÏur est lˆ, chez elle, sans lĠavoir prŽvenue. Elle lui fait la bise et sĠen va afin de prendre sa douche.

Lilly, et Robbie qui est arrivŽ tard le soir, sont repartis ce matin une fois de plus sans prendre la peine de lui dire au revoir ; elle nĠa pas eu le temps de sĠexpliquer avec Lilly mais elle nĠy manquerait pas ce soir. Elle doit donc partager son petit dŽjeuner avec Ellen, mais lĠenvie nĠest pas prŽsente. Elles sĠassoient donc sur la terrasse, le temps est doux et il y a une petite brise dĠair frais. Ellen ne dit pas un mot, elle voit bien sur son visage que quelque chose ne va pas. Quant ˆ Dina, elle observe le ciel et les oiseaux, aucune envie de parler de son mari ni de ses problmes ˆ sa sÏur. Ellen lui demande si elle peut rester quelques jours avec eux afin de lĠaider pour les enfants et les t‰ches mŽnagres. Dina refuse gentiment mme si elle a considŽrablement besoin dĠun coup de main, mais sžrement pas celui de sa sÏur. Elle se lve de table, regagne sa chambre aprs avoir dit au revoir ˆ sa sÏur, apparemment contrariŽe de son refus, et se prŽpare pour aller au travail. Elle nĠest pas de bonne humeur aprs cette visite surprise de sa sÏur qui lĠa compltement chamboulŽe. La raison de sa venue est quelque peu floue. Ce nĠest que le deuxime jour mais elle sent dŽjˆ quĠune routine sĠinstalle, ce dont elle a horreur. Elle se met en route vers lĠentreprise. Une fois la porte de la voiture ouverte, elle retrouve le petit papier quĠelle a vu hier. La curiositŽ lĠemporte, elle sĠassoit et ouvre la petite enveloppe cachetŽe :

Chre Dina,

Je suis content que tu aies trouvŽ cette enveloppe. Si tu es tombŽe dessus cĠest que tu es dans ma voiture et jĠespre que tu as acceptŽ de reprendre mon entreprise car a me tenait vraiment ˆ cÏur. Cependant jĠai quelques aveux ˆ te faire. Mais les mettre sur ce papier sur lequel tout le monde peut tomber serait trs risquŽ. Je te demande de te rendre au rocher prs de la mer bleue. Je mĠy rendais quand le travail me stressait ou tout simplement quand jĠavais besoin dĠŽvasion. Je pense que maintenant que je ne fais plus partie de ce monde, ce coin de paradis te revient et tu en auras sžrement besoin vu tout le travail que je tĠai laissŽ. Je suis dŽsolŽ dĠtre parti si vite mais je nĠai pas prŽvu cet accident. De lˆ o je suis tu me manques beaucoup, vous me manquez beaucoup. Je tĠembrasse fort, et embrasse les enfants pour moi.

Ton mari, Joey

 Cette lettre lĠa anŽantie. Elle la relit encore et encore. Il faut absolument quĠelle se rende au rocher au plus vite. Oui elle a besoin dĠŽvasion car les enfants et le travail, cĠest trop pour elle. Des larmes coulent sur ses joues rosŽes. Elle nĠa pourtant pas le temps de sĠattarder sur cette lettre, le travail lĠattend.

Mercredi 4 septembre

 Premire chose ˆ laquelle elle pense en se levant cĠest cette lettre, elle y pense depuis quĠelle lĠa lue, impossible de se concentrer sur quoi que ce soit. Elle lĠa lue tellement de fois quĠelle lĠa apprise par cÏur. Doit-elle en parler ˆ Lilly ? ou encore ˆ Robbie ? Peut tre que le fait de lire un mot de son pre lĠapaiserait et quĠil reviendrait vers elle. Cependant elle prŽfre la garder pour elle pour lĠinstant.

 

Jeudi 7 octobre

 Une fois de plus elle rentre chez elle ŽpuisŽe. Les journŽes passent et se ressemblent toutes. Dina est ŽpuisŽe, le travail se fait de plus en plus lourd mais elle refuse catŽgoriquement l'idŽe de baisser les bras. Elle fait tout a pour Joey, et la lettre quĠil lui a adressŽe lui revient en tte ˆ chaque fois quĠelle veut baisser les bras. Un fossŽ s'est creusŽ entre elle et ses enfants. Elle voit Robbie son fils qui rentre de temps en temps pour prendre une douche et quelques affaires et repartir chez son ami chez qui dŽsormais il habite depuis deux semaines. Quant ˆ Lilly, elle ne la voit pas beaucoup. Elle l'a inscrite ˆ la cantine pour tre sžre quĠelle ne tra”nera pas dehors ˆ lĠheure du midi. Mais elle lui a promis que pendant les vacances elles passeraient plus de temps ensemble et qu'elles iraient voir tante ZoŽ qu'elle aime tant. Mais au fond Dina sait qu'elle n'aura pas de temps ˆ lui accorder, seulement elle veut se convaincre qu'elle sĠen sort trs bien.

Lundi 11 octobre

Jour dŽcisif pour Dina. Elle a un contrat avec un client prestigieux avec qui elle va peut-tre collaborer, ce qui la sortirait du dŽficit budgŽtaire o elle se trouve. Elle se met sur son trente et un, comme les soirs o Joey l'invitait ˆ d”ner.  Lilly  accepte qu'elle l'emmne ˆ l'Žcole, Dina est ravie de pouvoir passer ne serait-ce qu'un quart d'heure avec sa fille mme si elle sait que celle-ci ne parlera pas. Le trajet ne se passe pas comme prŽvu. Dina questionne sa fille sur ses nombreuses sorties nocturnes sans sa permission. Lilly fait mine de rien, ne prenant mme pas la peine de rŽpondre. Dina sĠimpatiente et sent la colre monter en elle. Elle nĠen peut plus de cette situation. Le ton monte entre les deux jeunes femmes, les larmes ruissellent sur les joues de Dina, ses yeux se brouillent ; elle ne voit plus rien. Elle nĠentend plus rien que les cris de Lilly, un choc, et le noir totalÉ

 

Vendredi 15 octobre

Ses yeux sĠouvrent petit ˆ petit, elle aperoit une silhouette blanche trs floue. O est-elle et surtout qu'est-ce qui a causŽ ces douleurs  qui la lancent ˆ chaque fois qu'elle essaye d'esquisser un geste ? Peu ˆ peu la vue lui revient. Elle sent que son corps est meurtri, la vue des tuyaux lui fait comprendre qu'elle se trouve ˆ l'h™pital. Elle se souvient  peu ˆ peu de l'accident, du choc trs violent qui lui cause toutes ces douleurs. Elle intercepte quelques paroles du mŽdecin qui se trouve ˆ son chevet. Il lui assure que Lilly va bien, quĠelle a sautŽ de la voiture avant que la voiture se cogne au rocher. Mais quel rocher ? Dina nĠa pas eut le temps de poser la question, elle replonge dans un coma profond, elle sent quelques Žlectrochocs qui la soulvent puis plus rien... 

Le noir nĠest plus si noir, des couleurs et des formes apparaissent. Du bleu surtout. Dina est perdue. Est-elle morte ? Quelle est cette mer merveilleuse qui s'Žtend devant elle ? Elle se sent si bien, si libre, si vivanteÉ Assise sur ce rocher, le chagrin a disparu et a laissŽ place au bien-tre. Il n'y a personne, seule cette mer et ce rocher. Son seul compagnon est cet arbre qui a lĠair dĠtre sur le point de sĠŽchouer. Mais cela ne lĠŽclaire pas sur lĠendroit o elle se trouve. Peu importe, elle se sent bien, une odeur familire flotte dans l'air, ce qui la rassure. Elle la conna”t, mais n'arrive pas ˆ l'identifier. Aprs ces quelques mois de souffrance, elle se sent ˆ prŽsent parfaitement bien sur ce rocher au milieu de nulle part. Elle n'a pas envie de se poser de questions, seulement profiter de ce beau paysage. Cependant,  ce rocher, cette mer lui rappellent quelqu'un, ou bien quelque chose.

Elle remarque cette petite lettre entreposŽe dans le tronc de l'arbre. Elle la rŽcupre et entame sa lecture :

Bienvenue dans mon monde Dina

Tu es enfin venue au rocher ! ‚a fait tellement longtemps que je tĠattends. Je pense que tu as compris que ce rocher nĠexistait pas dans la vie rŽelle. CĠest mon paradis, celui que jĠai dŽcouvert aprs ma mort.  Ë prŽsent je vais pouvoir le partager avec toi. PrŽpare-toi ˆ me voir bient™t.

Joey

StupŽfaite. Les larmes coulent ˆ flot. Elle Žvacue toute cette souffrance qu'elle a accumulŽe depuis la mort de Joey. Elle relve son regard aprs avoir entendu un craquement, et le voit. Lui, en chair en os, qui maintenant la dŽvisage comme sĠil ne lĠavait jamais vue. Une main se pose sur son ŽpauleÉ Les souvenirs lui reviennent, ce rocher, cette odeur, cette lettre, tout a cĠŽtait... Joey.


 

 

 

 


 

 

 

Te revoilˆ, crevette

Esther Roy-Guilleminot

 

 

Il fait dŽjˆ chaud. L'aube s'Žtire, laissant percer vers le ciel les premiers frais rayons du soleil.
Les cigales s'Žveillent timidement, et on entend ˆ peine la brise lŽgre, soufflant sur la large frondaison des platanes surplombant la place.
Seuls quelques entrechoquements  de boules des matinaux joueurs de pŽtanque rŽsonnent dans le village.
Un cri mlant surprise et indignation vient rŽveiller Tourrettes-sur-Loup toute entire.
C'est Ferdinand qui a de peu ratŽ "le meilleur tir au fer", et  fait profiter les habitants encore engourdis de sommeil de sa premire dŽfaite de la journŽe.


-   Ah! CrŽ bon Diou ! Je n'ai pas la main souple aujourd'hui, hŽ ! 



Madame Frellire s'adresse alors au vaincu, tout en ouvrant ses volets, de sa jolie voix gorgŽe du soleil de la Provence.


"Allez, tu t'en remettras va ! En tout cas c'est un rŽveil bien singulier que le tient ! Tu vas finir par faire l'ouvrage du coq ! "


Quelques rires s'Žchapprent derrire les volets mi-cl™ts, s'ajoutant ˆ ceux des compagnons de Ferdinand, qui rŽpondit ˆ ces provocations par un long et exaspŽrŽ "Peuchre ! ". Pendant ce temps, Lalon ouvre lentement les yeux, baille largement et Žtire ses bras aussi haut qu'elle le peut, comme si elle cherchait ˆ Žloigner d'elle les mauvais rves de la nuit passŽe.
Il est vrai qu'ˆ huit ans, ‰ge qui est considŽrŽ tre celui de la raison, l'enfant n'est plus censŽ avoir peur du noir, ni des ombres inquiŽtantes se profilant le long des murs ˆ la nuit tombŽe.
Ce n'est pas le cas de Lalon...
Elle descend alors ˆ pas feutrŽs les quelques marches qui la sŽpare du rez-de-chaussŽe, o se situe la salle ˆ manger, un lieu idŽal pour bien commencer cette belle journŽe ensoleillŽe.
Une ambiance dŽcontractŽe et bonne enfant lui parvient, et laisse un lŽger sourire s'Žbaucher sur son visage.


L'oncle Denis et la maman sont attablŽs... Enfin, surtout Mireille, la mre, puisque Denis dŽguste son croissant au beurre quotidien avec un pied posŽ sur la table basse, l'autre jambe Žtant  pliŽe et ramenŽe sur la chaise.

Lalon s'empresse d'embrasser sa mre et son oncle, puis se prŽcipite vers un immense panier d'osier-originellement destinŽ aux courses du marchŽ o l'on peut admirer, en se penchant un peu, trois admirables chatons agglutinŽs, tels des aimants, sur le ventre de leur mre.
Certains jours, elle passe plusieures heures ˆ jouer avec les petits, apparemment au plus grand bonheur de leur nourricire, qui profite ainsi d'un des rares moments de tranquillitŽ qu'elle puisse s'offrir.

C'est en se redressant quelques longues minutes plus tard de ce couffin improvisŽ, que Lalon aperut "MamŽ", ou plut™t Marie, qui n'a pas attendu dix heures pour s'Žtendre au soleil.
Bien sžr exposŽe sans protection solaire, puisqu'elle n'a jamais attrapŽ de coups de soleil.

Cette particularitŽ, une chance prŽciserons-nous, n'a pas manquŽ d'attirer l'attention des amis de la famille, auxquels elle affirme ˆ tout va :

"TŽ ! Le soleil il me conna”t ! Depuis les quarante ans que je dore sans crme ni autre huile futile, et surtout inutile, il a appris ˆ m'Žpargner ses mauvais rayons, tout coquin qu'il est ! "
 

Les journŽes d'ŽtŽ sont longues et paisibles.

Rien ne vient troubler  le silence parfait et rassurant du midi, lorsque le soleil est ˆ son apogŽe et que les provenaux ne se refusent sous aucun prŽtexte leur sieste de l'aprs dŽjeuner.

Si l'on peut citer une personne pour qui cette trve est primordiale - voire vitale - cĠest bien le curŽ du village.

Pour rien au monde les habitants de Tourettes ne sĠaventureraient chez le Pre Otenticio avant que les cloches de quatorze heures fussent sonnŽes !

Pourtant, un jour, un malheureux vacancier qui dŽsirait se confesser de toute urgence, (il avait ameutŽ le village tout entier en moins de deux, et lanait ˆ qui voulait bien lĠentendre quĠil cherchait le presbytre de quelque prtreÉ) Žtait entrŽ suant et haletant dans le jardinet du curŽ, qui se rŽveilla en sursaut au tintement aigu du carillon sur le portillon vert olive.

Son Žtonnement fut si grand quĠil glissa de son hamac, et avant que le pauvre homme ai eu dĠanalyser la situation, la toile suspendue entre les orangers sĠavachit sur lui sous le poids de la chute.

LĠintrus, restŽ coi  et immobile devant cette Ç tragŽdie È eu juste le temps de sĠŽcrier Ç Mon Dieu, mon Pre, dans quel Žtat vous tes-vous mis ?! Je pense bien que vous aurez une bosse ! ).

Aussit™t cette phrase fut-elle prononcŽe, le curŽ indignŽ bondit (avec une force insouponnable au vu de son ‰ge avancŽ) sĠŽlana tel un fauve rugissant vers lĠautre homme devenu fugitif puisquĠil se rua en direction de la sortie, les yeux ŽcarquillŽs, le visage pŽtrifiŽ, le teint livide et les mains dirigŽes vers lĠavant.

Une fois les portes Ç du Paradis È franchies – comme aime ˆ les surnommer Pre Otenticio - le curŽ ˆ bout de souffle (et autant effrayŽ que Ç son fils È aprs cette rŽaction incontr™lŽe qui le surprit) il sĠarrta net et trouva la force de sĠexclamer :

 Ç HŽ ! En voilˆ des faons de sĠen prendre au disciple de Dieu, tu nĠiras pas au Paradis toi ! Voyou ! Et que je ne te vois pas mettre tes grands pieds dans mon Žglise ! Il mĠa labourŽ mes plates-bandes cet idiot ! ...(soudain plus bas) Doux-JŽsus, quel pchŽ jĠai pu commettre pour mŽriter pareille punition ?! È

A la suite de ces ŽvŽnements quelques peu dŽroutants, le curŽ se dŽclara malade pendant un bon mois.

Et la vie reprit gentiment ˆ Tourrettes.

Les marchŽs du mardi sont conviviaux et dŽcontractŽs. Les plus ‰gŽs sĠy retrouvent pour discuter, les comres se srent les unes aux autres en chuchotant, et ponctuent ce silence trompeur par des Ç Oh ! È et des Ç Ah ! È scandalisŽs.

Tous les habitants se connaissent, sĠinterpellent de loin  et demandent des nouvelles du petit dernier ou du parent malade.

Les sympathiques attentions vont ˆ profusion, entre deux cagots de tomates cerises et de kakis.

Les sacs de fruits et de lŽgumes restent suspendus en lĠair le temps des embrassades et bien souvent les marchands font cadeau dĠun ou deux kilos  des pommes du verger ˆ leurs clients prŽfŽrŽs.

Ainsi va la vieÉ

Comme les autres enfants de son ‰ge, Lalon sĠest jointe aux jeux et aux courses effrŽnŽes dans les Žtroites ruelles fleuries o aiment se prŽlasser les chats du coin, sur les tonnelles ou dans des jardinires amŽnagŽes par leurs soins.

Souvent, les bambins se laissent attendrir par ces fŽlins ronronnant au soleil et oublient un instant leurs jeux, quĠils perdent ensuiteÉ

Lalon aimerait tant tre un chat ! Quel plaisir ce serait de dĠalanguir  sur une terrasse, sans nulle contrainte, nulle obligation, et pouvoir savourer encore dĠavantage cette vie en observant les humains grouillant ˆ leurs occupations, ou plut™t ˆ leurs prŽoccupations.

Et les poursuites endiablŽes sĠencha”nent, nĠen finissent plus, sous le ciel bleu azur parsemŽ ici et lˆ des ces fins nuages qui virent si joliment ˆ lĠorange ou au rose ˆ la nuit tombante.

La fra”cheur du soir, apprŽciable, est bienvenue des habitants attirŽs sur les terrasses des cafŽs.

Un attroupement se forme sur la place.

Les bancs se remplissent, les cochonnets se perdent, les boules sĠemmlent, les uns crient au scandale, recomptent les pas, les autres se donnent lĠaccolade, courbent lĠŽchine, agitent dans leur mains croisŽes derrire le dos les deux prochaines boules quĠils sĠapprtent ˆ jouer-et les chats rentrent, assourdis et incommodŽs par tant de chahut.

Au milieu de la foule, lĠoncle Denis vient de se lancer ˆ la recherche de Lalon, qui observe de loin les parties se succŽdant, adossŽe  ˆ la fontaine abritŽe par un platane centenaire. Lorsque Denis arrive enfin ˆ sa portŽe, ˆ bout de souffle, il lui demande :

Ç Dis, crevette, je me demandais si par hasard tĠaurais pas voulu venir ˆ lĠoliveraie pourÉ È

Sans prendre le temps de rŽpondre, Lalon se prŽcipite vers son oncle et lĠentra”ne en bondissant vers ce lieu pour elle si magique : des olives, rien que des olives, ˆ perte de vue.

Elle  aime ˆ pivoter en sautillant entre les troncs noueux, et fouler le sol poussiŽreux, craquelŽ par des pluies inexistantes.

PerchŽs dans les arbres, montŽs sur la plus haute barre de leur Žchelle, les derniers cultivateurs Žcartent les branches, Žloignent les feuilles et jettent au passage les olives murent ˆ point dans les paniers dĠosier dŽbordants.

─ HŽ ! RĠgardez-dont lˆ-bas qui vient.. ! lana Monsieur Pugol tout en ajustant son chapeau de paille.

─ Ah ! Il a lĠair en forme le gaillardÉ  Puis sĠadressant ˆ Denis, distant de plusieurs mtres : Peuchre ! On ne peut pas dire que tu nous aide beaucoup, Eh !

Sa femme sĠessuie le front avec son fichu puis renchŽrit :

─ Y a pas ˆ dire, les vacances, a te sert quĠˆ tĠemp‰ter ! Ti es tout gouttelant !

EffondrŽ sur un rocher, Denis pense alors aux annŽes prŽcŽdentes, o il venait prter main forte ˆ ses amis qui trimaient de lĠaube au crŽpuscule dans leurs oliviers.

─ JĠsais bien, jĠsais bienÉ Mais, ma foi, avec lĠ‰ge, je suis vite ŽpuisŽ.

─ Oh, ne vient pas me chanter a hŽ ! Souviens-toi des Rougier, ˆ 80 ans ils nĠauraient jamais manquŽ une saison de cueillette ! Jamais ! Alors toiÉ

Tous se mettent ˆ rire.

Lalon Žcoute attentivement, et profite de la distraction gŽnŽrale pour dŽguster en cachette les fruits de tant de travail.

DĠici la vue est somptueuse.                                                                                                                        

 On peut admirer le village rŽduit en contre-bas, et, sur la gauche, le paysage vallonnŽ que surplombe une pente rocailleuse.

Derrire le village, ce nĠest quĠune succession de champs de lavande, de coquelicots ou de thym, crŽant des espaces de couleurs diffŽrentes, sŽparŽs par de minces haies dĠarbustes.

Le soleil dŽcline peu ˆ peu, et il est tant de rentrer.                                                                                  

Le couple Pugol, accompagnŽ par Lalon et Denis empruntent le chemin du retour, et arrivent ˆ lĠembranchement de deux ruelles.                                    

 LĠune mne ˆ la maison des Pugol, lĠautre au mas qui abrite  Marie et sa   famille, les Martin.

Il est dŽcidŽ dĠinviter les Pugol ˆ d”ner.                            

 EnchantŽs, ils suivent Denis dĠun pas guilleret, tout en parlant vivement.

Ils dŽpassent plusieures  maisons, et devant chacune dĠelles, ils font signe de la main pour saluer les voisins attablŽs sous les tonnelles.

LĠun dĠentre eux, Hubert Delcouvet-65 ans-voit arriver la petite troupe, et, heureux ˆ lĠidŽe dĠentreprendre une conversation, il leur crie de loin :

─ Oh, collgues  (*1) !    O courrez-vous comme a dĠun pas si alerte ?! ?

─ CĠest que ce charmant monsieur nous a invitŽ ˆ d”ner vois-tu ! fit lĠŽpoux Pugol en dŽsignant Denis.

─ HŽ b, cĠest en effet lĠamabilitŽ mme, ce DenisÉ

─ Bon, on va y aller mon vieux, parce que le souper va tre froid.Bien le bonjour ˆ ta femme !

Et ils reprennent leur marche, quand, soudain :

Oh, dis, le Martin !

─ QuŽ ma• ( *2) ? Le monsieur te dit quĠil est pressŽÉ sĠemporte Pugol

─ Non mais dis donc, ce nĠest pas ˆ toi que je mĠadresse, fada va ! (puis parlant plus bas) Oh, Denis, approche –toi un peuÉ (plus fort et en ouvrant grand ses yeux)Je ne voudrai pas que Monsieur Pugol entende, il  va encore me couper la parole ! Je me demandais si, comme je suis un peu triste en ce moment, il nĠy aurait pas un couvert  en rade pour moi chez-vousÉ Sans vouloir dŽranger biensžrÉ

─ Mais si, mon brave, viens, joins-toi ˆ nous ! RŽpond Denis                                                    

─ Allez, zou, en route, sinon le d”ner risque  vraiment dĠtre immangeable !                                                                                                                             

Lalon a confectionnŽ un joli bouquet de violettes quĠelle offre gentiment  ˆ Hubert, ravi des ces attentions soudaines.                                                                                                

CĠest en longeant le prŽ de Mr le curŽ  que la jeune enfant ˆ dŽcouvert-lˆ, dans lĠherbe, battant de sa queue lĠair et ses flancs-un ‰ne Ç gris tourterelle È de Provence, reconnaissable  au dessin dĠune croix allant de lĠencolure ˆ la croupe.

Toute ŽmerveillŽe de cette rencontre inopinŽe, Lalon court tirer sur la manche de son oncle qui, absorbŽ par quelque discussion, nĠavait prtŽ aucune attention ˆ lĠanimal.

─ Tonton, viens vite voir! LĠ‰ne, le curŽ ˆ un ‰ne ! !

─ Un ‰ne ? Comment a ? Oh il faut que nous voyions a ! Eh, la compagnie, il semblerait que pre Otenticio ait un ‰ne !

Les rŽactions ne se sont pas faites attendre.                   

Et lˆ, les visages collŽs au grillage, il regardent stupŽfaits lĠ‰ne intriguŽ dont la queue est devenue immobile.

LĠarrivŽe du curŽ, une botte de carottes ˆ la main, a fait sursautŽ les visiteurs, qui se sont trouvŽs bien btes ˆ rester lˆ devant lĠ‰ne, comme figŽs.

─ Grisou, je lĠai appelŽ Grisou. Belle bte nĠest-ce pas ? sĠenquiert calmement le curŽ

─ Voui, cĠest une bien belle acquisition que vous avez fait lˆ, mon pre ! a rŽpondu Hubert

─ CĠest un m‰le  ou une femelle ?                                 

 Lalon a hŽsitŽ avant de poser cette question, de peur de para”tre ridicule.

─ Grisou, avec un nom comme a, jĠespre bien que cĠest un m‰le ma chre ! Rit le pre

─ Sinon elle se serait appelŽe Grisette, c Ġest cela ?

Les interventions de Lalon ont toujours fait rire son entourage, et celle-ci nĠa pas manquŽe de raviver la bonne humeur collective.

─ Tenez, mon Pre, je vous invite Žgalement au repas ! Vous ne serez pas dŽus, ma mre prŽpare la ratatouille ˆ merveille !

 

Enfin arrivŽs au mas, lĠaccueil  quelque peu cinglant de Mireille a aussit™t refroidit lĠambiance.

En effet, plantŽe ˆ la place du portail ouvert, les poings sur les hanches, Mireille attend ses invitŽs en dissimulant ˆ peine son amertume.

Lalon sĠest ŽlancŽe vers sa mre, mais les retrouvailles nĠont pas exactement ŽtŽ ˆ la hauteur de ce quĠelle espŽrait.

─ Dis-moi, petite effrontŽe, o Žtais-tu passŽe ? Nous tĠavons cherchŽ partout avec MamŽ ! Ne me recommence plus jamais a tu entends ! File, avant que je tĠŽtrangle !

Biensžr Mireille, en mre digne, ne pense pas un tra”tre mot de cette de cette menace, mais dans sa dŽlicate na•vetŽ Lalon a prŽfŽrŽ se rŽfugier sur les genoux de sa grand-mre bien aimŽe.

─ HŽ, Denis, explique-moi un peu en quel honneur nous avons le plaisir de recevoir ce soir, la moitiŽ du village ?!

Aux regards dŽsemparŽs dĠHubert et de Nicolette Pugol, elle sĠest ravisŽe :

─ Simple plaisanterie, peuchre ! Entrez-donc, chers amis, vous tes ici,  chez-vous !

Marie a observŽ la scne sans bouger, et a abandonnŽe sa petite fille pour se prŽcipiter ˆ la cuisine.

Ils seraient huit ˆ table ce soir, elle se dit Ç Comment je vais la nourrir, cette troupe, avec le Delcouvet qui avale comme quatre ?! Vraiment, quelle idŽe de lĠavoir invitŽ celui-lˆ ! Je vais lui dire ma faon de penser, ˆ Denis, cĠest bien le fils de sa mre, va ! È

Une joie dŽbordante rgne au dehors, et dŽjˆ les convives sĠimpatientent.

Le pre Otenticio, dans son immense bontŽ, est venu prter main forte ˆ Marie ˆ la cuisine. Or, sa gourmandise a vite fait de le guider vers la marmite o mijote tranquillement la ratatouille. Il sĠest emparŽ de la spatule en bois, et lĠa dŽjˆ portŽe trois fois ˆ sa bouche lorsque Marie, ŽpouvantŽe, sĠest ŽcriŽe :

─ Oh lˆ lˆ mes enfants ! Ils vont me faire devenir chvre ! Arrtez tout de suite, a nĠest pas le moment, il nĠy en a dŽjˆ pas assez pour tout le monde ! L‰chez cette spatule voulez-vous ?

─ MmmhÉ Pardonnez-moi ma fille, mais je nĠai pas pu mĠen empcherÉ Dites, il ne vous reste pas un rataillon (*3) de fromage pour attendre, je nĠai pas dŽjeunŽ !

─ Non mais, en voilˆ des faons ! Non, je nĠai plus de fromage ! TŽ, virez (*4) un peu sur la droite que je vous observeÉ CĠest bien ce quĠil me semblait ˆ la messe. Vous avez pris du poids monsieur  le curŽ !

─ Vous croyez, vraiment ?!

─ Certainement ! Allez, retournez aux c™tŽs de vos enfantsÉEt merci pour lĠaide !

Il est sortit ˆ grands regrets, en ouvrant son missel.

Aprs avoir recomptŽ ˆ maintes reprises le nombre dĠoignons cuisant et ceux restant, Marie a conclu quĠil lui en manquerait au moins deux si elle tenait ˆ ce que ce plat ne dŽshonore pas la famille.

─ Denis, on est dans le pˆti (*5), il manque deux oignons. Chuchote-t-elle ˆ lĠoreille de son fils.

Il ne lĠa pas entendue. Il est bien trop occupŽ ˆ rire avec le Pugol.

─ Denis, Denis ? Deux oignons quĠil manque ! Tu entends ?

Aucune rŽponse.Les rires ont redoublŽs et Marie ne tient plus.

─ Oh, teste dĠa• (*6), Žcoute un peu quand je te parle !

Cette fois, il sĠest retournŽ dĠun mouvement bref.

─ Eh, parle-moi meilleur (*7) hein ! Je suis fatiguŽ.

─ MĠen fouti (*8), je te rŽpte quĠil nous manque deux oignons !

─ Tu nĠavais quĠˆ penser ˆ en acheter au marchŽ lĠautre jour, au lieu de tĠencagnarder (*9) au soleil !

─ Dis, on va Žviter les sujets Žpineux devant les invitŽs, tu veux ?

Nicolette, toujours serviable, sĠest heureusement proposŽe dĠen offrir.                                           

La suite du repas se dŽroule donc sans ŽvŽnement notable.

Au dessert, Lalon a senti la fatique la submerger.

Elle sĠest mise ˆ rver de lĠ‰ne, elle a imaginŽ galoper  ˆ ses c™tŽs, faire de lui son meilleur ami.

Ensevelie dans ses songes, les invitŽs se sont aperus quĠelle baillait, sans discrŽtion il est vrai.

─ Le marchand de sable ne va pas tarder ˆ passer on diraiÉ hein crevette ?! lui dit son oncle tendrement

─ Elle est mignone cette petite tout de mmeÉ             

Elle me fait regreter de nĠavoir eu quĠun filsÉEngagŽ dans lĠarmŽe en plus ! Remarquez, ton mari a eu la mme idŽe, et puis ils ne sĠen plaignent pas, nĠest-ce pas Mireille ?

─ OuiÉ Aller, va•, va au nono, g‡rri ! Tu as les yeux bordŽs dĠanchois (*10) Et monte les escaliers plan-plan (*11), pour ne pas tomber. Je viendrai te border quand jĠaurai dŽbarassŽ.  

Lalon a rŽpondu au Ç bonne nuit È des convives et sĠest couchŽe.

LĠimage de Grisou est restŽe longtemps sous ses paupires, avant de rŽappara”tre dans ses plus jolis rves.

*

Le coup de sifflet lancŽ par le chef de gare ramena Lalon ˆ la rŽalitŽ.

Le souvenir de son enfance passŽe se dissipa, et son bras restŽ trop longtemps pliŽ contre la vitre Žtait maintenant engourdi.

Retour aux sources, aprs huit longues annŽe dĠabsence passŽes ˆ Paris pour ses Žtudes. Elle Žtait de retour, en cette annŽe 1966, prte ˆ retrouver ses habitudes auprs dĠune famille quĠelle aime, et dĠun village auquel toute son enfance est ratachŽe.

Ç Tourrettes sur Loup, Tourrettes sur Loup, train en provenance de Paris. ArrivŽe en gare dans trois minutes.Pour votre sŽcuritŽ, nous vous rappelons quĠil est conseillŽ de se tenir ŽloignŽ des  rames ˆ lĠarrivŽe du trainÉ È.

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LEXIQUE :

 

(*1) Žquivalent ˆ Ç Oh, mes amis È

(*2) Ç QuŽ ma• È : Ç Quoi encore ? È

(*3) un rataillon : un bout, un reste

(*4) virer : tourner

(*5) tre dans le pˆti : tre sacrŽment embtŽ

(*6)  Ç teste dĠa• È : typiquement provenale

(*7)  Ç parle-moi meilleur È : parle-moi plus poliement

(*8) Ç MĠen fouti È : Ç Je mĠen fiche È 

(*9) Ç sĠencagnarder È : sĠexposer au soleil lorquĠil brille fortement.

(*10) Ç Aller, va•, va au nono, g‡rri ! Tu as les yeux bordŽs dĠanchois È : Ç Aller, va (insistance sur le verbe aller) au dodo, chŽrie (ou ma puce) ! Tu ˆ lĠair trs fatiguŽe.

(*11) Ç plan-plan È : lentement, sans se presser.

 


 

 

 

 


 

 

 

 

Vanessa Parra

 

Je m'Žvade,  je suis assise sur ce toit,  si rouge reflŽtant la chaleur du soleil. Je suis seule,  il n'y a personne autour de moi,  aucuns son de voix,  je suis bien et mal ˆ la fois,  c'est ˆ ne pas comprendre. Je rŽflŽchis,  je pense ˆ tout,  ˆ rien j'ai la tte dans les nuages et j'entends mon coeur battre a toute vitesse,  au mŽlange de cet agrŽable bruit de vagues que je pourrais Žcouter sans jamais me lasser. Le soleil tape sur mes Žpaules,  j'adore rester des heures au soleil et sentir cette chaleur si rare. Je regarde la mer bouger,  et par moment je sens ce petit brun d'air qui vient me caresser les cheveux,  je voudrais que jamais cela ne s'arrte. Je pense au pire comme au meilleur,  j'ai mal au coeur de me dire que cela n'est qu'un rve,  que la mer est si loin de moi. Je m'imagine dans cette eau chaude,  ma tte se rafra”chir,  mon corps enveloppŽe de cette eau salŽe pour ensuite laisser reflŽter le soleil sur l'eau afin que mon visage prenne des couleurs. Je ferme les yeux,  ce moment est unique,  cela me rend compltement muette,  je voudrais ne plus jamais redescendre,  y rester toute ma vie. Ici c'est le paradis,  mon paradis.


 

 

 

 


 

 

 

Justine Cavin

 

 

Evasion,  envie de rver,  bŽatitude,  envie de voyager,  solitude,  nostalgie.

J'ai toujours prŽfŽrŽ anticiper les choses. Le problme,  c'est qu'ˆ la fin,  on se retrouve seul. Face ˆ soi-mme,  comme lorsqu'on regarde la mer.

Alors,  on contemple. Mais on contemple quoi ? La vŽritŽ,  c'est que je n'ai pas la rŽponse. Souvent dans mes rves,  je suis seule au-dessus d'un b‰timent blanc. et je contemple la mer. La seule chose dont j'ai envie,  c'est de partir,  loin,  loin,  trs loin.

 

 


 

 

 

 


 

 

 

 

Rime Ajana

 

 

Personnellement,  jĠaime la littŽrature car elle a sauvŽ mon enfance et mĠa appris ˆ lutter contre la solitude que lĠon ressent parfois dans lĠadolescence. Les livres,  les histoires,  lĠŽcriture (jĠai tenu des annŽes un journal intime,  comme quoi cela nĠattire pas que les filles),  ensuite jĠai commencŽ par un premier roman,  puis un second et aujourdĠhui je travaille le cinquime.

Ecrire est une chose qui rend plus fort,  qui aide ˆ apprŽhender le monde,  sa cruautŽ. Elle montre que la solitude est double : la triste avec ses peines et ses douleurs,  et la belle solitude,  crŽatrice,  qui permet la libertŽ,  la libŽration,  toutes les libŽrations,  le retrait,  la confiance en soi,  lĠintrospection,  lĠamour de soi.

Ecrire ˆ partir de ce terrain vague transformŽ en terrain de basket-ball,  pour des enfants pauvres qui nĠont rien dĠautres que la misre,  ce terrain et la mer,  peut donner une superbe histoire. Il suffit que tu crŽes ton double littŽraire et que tu lui donne lĠŽlan dĠexister,  le temps dĠune nouvelle. Donne-lui un nom,  un ‰ge,  une histoire et fait lui conquŽrir ses douleurs,  trouver la force dans la vie,  les amis (rŽels ou imaginaires comme dans les livres).

A toi de jouer.

Ecrire est une libŽration dans le sens o tout y est possible. La vie y commence !


 

 

 

 

 


 

 

 

 

ƒcrits de Cabrini  #1

Atelier dĠŽcriture et de lecture dĠimage (2009-2010)

au lycŽe Franoise Cabrini,  Noisy-le-Grand (93)

 

animŽ par :

Hafid Aggoune,  Žcrivain

Marie Witt,  professeur de Lettres

Jean-Luc MŽnard,  professeur documentaliste

 

PrŽface

Hafid Aggoune             

   

Horizons incertains       

Anissa Chaouch            

   

Nothing       

Marie-AimŽe Onhema  

   

Les tapas      

LŽonie Guilbert             

   

Enora  

Jennifer Chantrel           

 

Voyageuse   

Solne Colin                 

   

Le tableau malŽfique     

Amandine Jacqueau      

   

Vivir   

Ana•s Laville                 

   

Le rocher

Ella Brabra                    

 

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En bonus pour la version internet :

 

Te revoilˆ, crevette

Esther Roy-Guilleminot

 

Toit/mer 1

Vanessa Parra               

 

Toit/mer 2

Justine Cavin                 

 

Terrain basket

Rime Ajana                   

 

 

   

Photographies et Ždition

İ Jean-Luc MŽnard